Le Paradis perdu
8.1
Le Paradis perdu

livre de John Milton (1667)

Il parait qu'il y a deux manières de faire de la critique : la critique "générale" qui prendrait en compte les qualités objectives d'une œuvre, et la critique "engagée", ce qui ne signifie pas engagée politiquement, mais qui décortique l'œuvre d'un point de vue précis (féministe, marxiste, freudien, ethnique, etc...). Je ne suis pas critique, mais je me suis rendue compte que j'ai toujours tendance à être subjective quand je lis, regarde un film, etc.... En clair, si j'avais dû noter de manière objective, j'aurais sûrement mis un 9 à Paradise Lost. Mais comme je suis une enquiquineuse, je n'arrive pas à mettre plus de 5.


Je m'explique : oui, la forme, sans rime, est une première en anglais à l'époque. Oui, le langage, les néologismes, Satan qui devient une figure romantique, tout ça est très beau, cette œuvre a eu un impact considérable sur la langue anglaise, et la littérature, jusqu'à nos jours. Mais je ne digère pas la misogynie de cette œuvre. La misogynie de Milton en général je dois dire. Eve y est présentée comme étant la moitié d'Adam, au sens littéral du terme, incapable d'avoir le même degré de réflexion, sa qualité principale étant d'être très agréable à regarder. Je n'ai pas compté le nombre de fois où elle répète à Adam qu'il est son maître, et qu'elle lui obéit, à lui qui obéit à Dieu. Elle n'a pas de contact direct avec Dieu, ni ses représentants. Quand un ange débarque à la maison pour débattre théologie, elle sert à boire et à manger, se laisse reluquer gentiment, et quand la discussion devient plus sérieuse, va jardiner pour ne pas avoir trop mal à la tête. Quand Adam la suit dans sa Chute, Dieu lui reproche d'avoir suivi quelqu'un qui lui était inférieure. Les phrases qui insinuent ou assènent l'infériorité de la femme sont légions.


Certains, femmes comme hommes, répondent à cette accusation qu'au contraire Eve est la seule qui a l'envie d'accéder à un savoir plus grand, et donc de s'élever au dessus de sa condition. Si l'on considère l'ensemble de l'œuvre de Milton, on pourrait y voir là un signe d'estime de sa part. Dans Aeropagitica, un discours politique contre la censure établie pendant le Commonwealth, Milton répète que si l'on vient à restreindre l'accès aux connaissances humaines, la population s'affaiblit, régresse, qu'il n'est que naturel pour un homme de vouloir justement, s'élever au dessus de sa condition.


Seulement au regard des remarques distillées dans Paradise Lost, ou dans d'autres pamphlets comme On the Doctrine and Discipline of Divorce, le doute ne parait plus possible. L'homme capable de dire qu'après tout "tout le monde sait que derrière l'innocence d'une vierge se cache souvent le vide et la paresse" qui feront d'une femme une mauvaise compagne, ou encore que la femme qui de part son incompatibilité avec son mari détourne ce dernier de Dieu en le poussant vers des pensées athéistes parce qu'il ne peut pas, à l'époque, divorcer d'elle, est aussi pècheresse qu'une païenne qui l'en détournerait volontairement, et par conséquent mérite que Dieu se détourne d'elle, cet homme qui a toujours affirmé que la femme est forcément l'inférieure de l'homme puisque fabriquée d'une de ses côtes, ne serait pas misogyne?


Certes, à son époque, on ne peut pas dire que la femme était en voie vers la révolution féminine, mais tous n'étaient pas aussi fermés que lui à l'idée que peut-être l'engeance féminine ne se réduisait pas à la qualité de charmant animal domestique douée de la parole.

EIA
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le 6 nov. 2015

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