Livre référence concernant l'art et plus particulièrement le cinéma et la photographie, il permet d'avoir une vision différent et plus clair du septième art. Ceci étant dit, il semble aussi appartenir à son époque et avoir fait l'impasse sur plusieurs points importants, qui étaient déjà en jeu en son temps



I. L'aura, ce concept singulier



La définition de l'aura serait quelque chose qui a avoir avec la présence et la singularité d'une œuvre d'art. Elle serait définie de cette manière : "On pourrait la définir comme l'unique apparition d'un lointain, si proche soit-il". L'aura émane donc de l'œuvre en cela où elle est unique et sa présence a presque un effet magique, voire mystique. D'ailleurs il fait souvent référence à l'art religieux.
Là ou Benjamin fait preuve d'une lucidité étonnante pour l'époque, c'est en attribuant à la modernité de l'art, avec les journaux, la photographie et le cinéma, un rôle d'émancipation des masses, en ligne droite du courant marxiste et également un danger potentiel de récupération par le fascisme, par les fascismes et le capital. Il cite même un exemple qui lit, déjà, les deux : "l'abrutissant Mickey" de Disney ! Il considère donc les deux possibilités.
En pointant du doigt le système de vedettariat hollywoodien, il remarque aussi comment les studios se servent du culte de la personnalités pour canaliser les foules. Pratique encore actuelle ? Les dictateurs et les célébrités sont mis en avant par ces procédés. Il croit pourtant que le cinéma et la photographie pourront servir le peuple dans un but quasi-révolutionnaire. Même sans aller jusque là, il souligne le fait que l'écriture elle même devient un "bien commun" à partir du moment ou les journaux se généralisent, la place faite pour le courrier des lecteurs permet à tout un chacun de devenir auteur, aussi éphémère soit-il.
Il précise ensuite qu'Abel Gance a dit en 1927 : "Shakespeare, Rembrandt feront du cinéma". Cette citation permet a Benjamin d'annoncé une "liquidation globale". Croyait-il véritablement que les autres arts seraient absorbés dans le cinéma ? En tous cas sa vison du cinéma en tant que "rêve collectif" est assez séduisante et étant donné que l'écran se regarde dans une obscurité comparable à celle de la nuit, on peut y agréer.
En effet le cinéma touche toutes les personnes en même temps sans hiérarchie particulière et permet donc de parler à la masse de manière presque simultanée.
Pourtant si certaines de ses démonstrations sont efficaces et ont été une base pour d'autres théoriciens de l'art, il n'en reste pas moins que le texte comporte plusieurs failles, déjà critiquées à l'époque par Adorno, par exemple.



II . Des écueils mon ami, des écueils



Expliquons nous. Dans une lettre datant de la même époque que le texte , Adorno adressait déjà ses critiques sur le texte de Benjamin. Il lui oppose que l'art est liberté et pas forcément politique, que d'ailleurs il n'est pas aussi progressiste dans sa forme moderne ultime (le cinéma) qu'il voulait bien le faire penser et sur la forme, regrette qu'il ne soit pas plus dialectique (cf http://fgimello.free.fr/documents/reproductivite_technique.pdf)
Pour ma part je rajoute aussi que Benjamin comme Adorno ne voient pas une chose dont l'information était déjà disponible à l'époque : la peinture , qui est la comparaison phare de Benjamin avec le cinéma, a une plus longue histoire que le cinéma. En effet de Lascaux à Malevitch, on peut dire sans ménagement que la peinture s'est explorée elle même de fond en comble. On peut même se demander comment peindre après le Suprématisme et le fameux "carré blanc sur fond blanc" (en fait nommé Quadrangle). Le cinéma, surtout à l'époque de la rédaction du texte était bien jeune.
Dire que le cameraman est pareil au chirurgien en quelques lignes pleine d'assertions, montre qu' Adorno avait vu juste sur le manque de dialectique du texte. Mais ce n'est pas tout. Même si on peut comprendre que Benjamin se pose plus en journaliste faisant un constat qu'en véritable essayiste, au moins l'espace de ce texte, il assène des vérités de manière bien trop péremptoire pour que ce propos paraisse solide. De plus relégué les "arts anciens" à une fonction cultuelle et esthétique de manière secondaire, est peu trop simpliste, car il ne prend pas en compte la technique du peintre lui même, technique que doit avoir également le cameraman ou même le réalisateur. Au fond la seule comparaison qui tient à peu près est celle entre le théâtre et le cinéma. Mais là encore il tient pour acquis le concept d'illusion au théâtre et pas le fait que c'est un art du présent, dans le concert et que tout spectateur s'il le souhaite peut se lever pour parler ou même agresser un acteur. Ce qui a pu arriver, particulièrement il y a quelques siècles. On pourrait continuer longtemps à disséquer le texte.
On ne peut demander bien évidemment à un théoricien de couvrir tout l'art avec précision, mais écarter certaines évidences paraît pour le moins étrange. En particulier la fonction mystique et transcendante de l'art.


En conclusion on peut écrire que le livre intéressera ceux qui s'intéressent à la photo ou au cinéma en profondeur ou au contraire aux néophytes des théories sur les arts mécanisés. Curieusement Walter Benjamin cite Freud dans son texte et justement, comme lui, son texte a pris de l'âge et son discours est tellement passé dans le savoir commun, même si parfois simplifié voire vulgarisé, et dépassé par les derniers développements techniques, artistiques et théoriques que sa lecture devient dispensable. Heureusement il est court.

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le 4 oct. 2015

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