Cthulhu s'éveille, un crayon tombe

Parue chez Weird Tales en février 1928, la nouvelle l'Appel de Cthulhu est bien plus qu'une référence mythique de la littérature fantastique : elle est le récit central de l'univers de Lovecraft, ainsi que la meilleure porte d'entrée à tout néophyte désireux de comprendre le style Lovecraftien puisqu'elle synthétise toutes les figures de style qui en font la plume.

Ici, l'horreur, jusqu'à alors assoupie, marque des signes d'éveil aux quatre coins de la Terre. Elle investit les marécages de la Nouvelle Angleterre comme les profondeurs océaniques, et semble puiser ses origines bien avant notre propre apparition. Pire encore, des cultes païens en l'honneur de ces figures d'un autre âge s'animent ici et là, et nombreuses sont les personnes empreintes de visions cauchemardesques, montrant d'immenses cités cyclopéennes composées de titanesques blocs de pierre et de monolithes crevant les cieux...

La terrible vérité, dans l'Appel de Cthulhu, c'est que personne ne sera à l'abri quand le Grand Ancien Cthulhu quittera sa demeure englouti de R'lyeh et purgera la Terre...

"Ph'nglui mglw'nafh Cthulhu R'lyeh wgah'nagl fhtagn"

"La chose la plus miséricordieuse en ce bas monde est bien, je crois, l'incapacité de l'esprit humain à mettre en relation tout ce qu'il contient. "

Vous l'aurez compris en lisant ce synopsis détaillé, cette nouvelle est charnière dans l'édifice lovecraftien. Ce n'est donc pas étonnant que de multiples artistes se soit attelé à la mettre en image. Mais comment mettre en image ce qui ne peut être expliqué ou conceptualisé ? En vérité, si l'usage du terme indicible est souvent rattaché au lexique Lovecraftien, il ya bel et bien diverses descriptions qui sont données sur ce qu'est réellement Cthulhu, Nyralatothep ou encore Yog-Sottoth...

Alors que du côté des éditions Ki-oon, on peut découvrir une version manga sous la plume de Gou Tanabe, ici nous nous attelons à découvrir la version roman illustré en grand format parue chez Bragelonne : L'Appel de Cthulhu, illustré par François Baranger. Cet artiste ne vous dit peut être rien comme ça, et pourtant il a travaillé sur des projets de taille, allant du premier Arthur et Les Minimoys, jusqu'à collaborer sur le jeu vidéo Heavy Rain, le plus souvent en tant que concept-artist.

Sa fascination pour l'univers de Lovecraft ne date pas d'hier, puisqu'on le retrouvait déjà à la barre de sa BD Freaks Agency, une création aux relents très lovecraftiens. Mais ici, il voit les choses en grand en nous proposant une série généreuse d'illustrations en grand format, afin de mieux contempler la perdition d'hommes en proie à une horreur venue des entrailles de la planète. Explorant les confins marécageux comme les profondeurs océaniques, le trait sobre aux teintes grisâtres de Baranger se prête parfaitement à cet exercice de style, puisqu'il nous délivre certaines des plus belles planches jamais vues autour de l'univers de Lovecraft (mention spéciale à l'éveil de Cthulhu et aux proportions liliputiennes des hommes dans cette scène).

Le lecteur adepte de Lovecraft trouvera donc largement son compte dans cette nouvelle illustrée d'une main de maître, puisqu'il pourra désormais effectuer l'impensable : décrire l'indescriptible, et ce, grâce à Baranger. Maintenant , nous savons quel genre de fléau impie se cachent dans les profondeurs océaniques ainsi que dans les tréfonds de nos esprits, devenant ainsi, comme les narrateurs, complètement ivre d'une folie grandissante et impalpable.

Grandissante, car viendra un jour où les Grands Anciens sortiront de leur sommeil et où ils enseigneront alors aux hommes de nouvelles façons de tuer et de hurler tandis que la planète entière flamboiera dans un holocauste d'extase libératrice.