Après avoir raconté le quotidien de soldats américains en Irak, Katherine Bigelow s'attaque à la traque de l'ennemi public numéro un. Une nouvelle fois, on suit le destin d'individus qui vont se confronter aux mythes de leur pays. Dans Démineurs, ce n'était pas dans la défense des civils et de la paix que les soldats trouvaient du sens à leur action, mais dans la possibilité d'incarner le mythe américain par excellence, à savoir le cow boy. Ces soldats devenaient des drogués de l'adrénaline, incapables de se contenter du rêve américain standard de consommation, et incarnaient ainsi une métaphore d'un système impérialiste dans lequel la guerre devient fédératrice, et donc vitale pour la santé mentale d'une nation.
Ici, on suit un personnage incarnée par la très douce Maya (Jessica Chastain), jolie rousse dont l'une des premières répliques consiste à refuser son aide à un homme sous la torture. Il peut s'aider lui même, lui explique elle, en acceptant de répondre aux questions qu'on lui pose, ce qui fait de lui le seul responsable de la torture qu'il subit. Ce genre de point de vue rappelle directement le mythe du citoyen américain "from rags to riches", dont la réussite ne dépend que de lui et de son travail, ce qui transforme les pauvres en feignants qui méritent bien leur misère.
Les Etats Unis représentent la démocratie, et sont attaqués par des terroristes. En tant que gendarmes du monde et champions du bien, les citoyens devront faire leur devoir et laisser tomber le sentimentaliste, bon pour les bobos démocrates dont les lois anti torture seront évoquées dans le film, mais comme en hors champ. Ainsi, le tortionnaire est un homme fondamentalement bon, mais qui, poussés par les circonstances, doit commettre des actes que lui même ressent comme lourd à porter, mais absolument nécessaires.
Le personnage de Maya, neuf au début de l'histoire, va évidemment pousser cette logique à fond, là où les autres "manquent de couilles" et s'abritent derrière des probabilités mathématiques pour refuser la responsabilité de l'attaque contre la cache de Ben Laden. Elle abandonne ainsi toutes les hypocrisies démocratiques pour mener sa mission à son terme : tuer Ben Laden. La séquence de l'assaut abandonne ainsi tout manichéisme. Sèche, sans musique ni héroïsme, juste des guerriers surarmés qui abattent les habitants d'une maison sans sommation ni même de vérification d'identité : Ben Laden n'est identifié qu'après sa mort.
Voilà cette victoire de la démocratie : des exécutions sommaires, des hommes abattus sans jugement. Le dernier plan du film résume : seule dans un avion affrété pour elle, Maya fête sa victoire en pleurant, devant ce qui figure un drapeau américain en lambeaux. Pour se sauver d'ennemis jugés mortels, la démocratie a construit des mythes qui l'ont poussée à se détruire elle même.
Dans Zéro Dark Thirty, les thématiques de Démineur sont encore poussées, les soldats d'élite chargés de la mission commando sur la cache de Ben Laden rappelant tout de suite les personnages de Démineurs ; à eux deux, Zero Dark Thirty et Démineurs forment un diptyque très représentatif des années 2000 par leur imagerie. Plus important, ils offrent une réflexion sur les mythes qui fédèrent une nation, en l'occurrence une nation impérialiste qui se veut gendarme du monde et incarnation de démocratie et de justice. Ces mythes sont indispensables en ce qu'ils rendent acceptable l'inacceptable, mais en voilant la nature des actions qu'elle accomplit, la nation qui les utilise risque fort de perdre son âme.
ubhbeb
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le 6 mars 2013

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