L’idealismo va benissimo, ma quando si avvicina alla realtà il suo costo diventa proibitivo

On l'a peut-être oublié aujourd'hui, mais l'influence de Dino Risi sur la comédie italienne fut immense, puisqu'il en dessina rapidement les contours et en fit le miroir déformant de l'Italie, racontant avant tout l'histoire contemporaine de son pays, des difficultés de l'après-guerre jusqu'au boom économique des années 60, tout en alliant rire franc et réflexion morale. L'une de ses plus belles réussites en la matière demeure sans conteste Une vie difficile, un « film somme » en quelque sorte puisqu'il synthétise à merveille son esprit frondeur, sa lucidité féroce et sa maîtrise dans l'art de la satire. Tout semble parfaitement dosé, écrit, sans doute même un peu trop, forçant suffisamment les traits pour provoquer le rire tout en ménageant assez de nuances pour convoquer notre réflexion. Le film dans son ensemble sera ainsi soumis à un subtil jeu de balancier, oscillant constamment entre la drôlerie et le réalisme cru, la légèreté et le drame, le cynisme et une petite pointe d'espérance.

Même si elle est présente, forcément, la farce n'est pas la priorité de Risi qui utilise l'humour avant tout pour explorer l'évolution de la société et mettre à jour ses contradictions. Ainsi, les mésaventures du couple principal – un couple presque ordinaire, idéaliste et amoureux – vont servir à nourrir une fable sur la fidélité et la compromission, croquant avec délectation les espoirs et les désillusions de tout un peuple à la sortie de la guerre. Assez malicieusement, d'ailleurs, le cinéaste expose la teneur de son film dans une séquence introductive qui nous fait découvrir Silvio, un résistant et militant communiste, qui se désintéresse temporairement de la guerre pour aller conter fleurette à la belle Elena : les idéaux ont beau être grands et dignes, ils n'en demeurent pas moins fragiles, surtout lorsque la réalité est dure et les compromissions étonnamment douces.

Bien sûr, Une vie difficile est une comédie et l'humour est omniprésent, les traits sont forcés jusqu'à la caricature mais sans mettre à mal la profonde humanité des personnages : c'est parce qu'ils sont excessifs en tout (en amour, en veulerie, en héros militant, en clown pathétique) que le rire franc s'installe ; mais c'est bien parce qu'ils nous ressemblent férocement (dans leur croyance, leur naïveté, leur faiblesse, leur maladresse) que l'empathie subsiste. Si la finesse d'écriture est là, précise, lucide, parfois cruelle, faisant percer la complexité des êtres derrière la farce, on ne peut que saluer l'incroyable prestation d'Alberto Sordi qui contribue pour beaucoup à la réussite du film. Génial de prestance et de burlesque, il incarne merveilleusement bien l'ambivalence de l'être humain, capable d'être aussi bien héroïque que pathétique, vertueux que minable.

Car il faut bien le dire, le fond de l'histoire est aussi dur que réaliste. À travers la « vie difficile » de son personnage, Risi décrit la mort des utopies issues de la Résistance. Car dans le monde d'aujourd'hui, dans cette société capitaliste où tout se vend et s'achète, notamment l'Homme et ses convictions, plus personne ne « résiste », tout le monde se fourvoie.

Ainsi, la vie dans cette société de la compromission va s'avérer être un enfer pour celui qui, comme Silvio, est resté un utopiste convaincu : il sera, tour à tour, rejeté par sa femme, son fils, méprisé par sa belle-famille, raillé par plus riche que lui et jeté en prison simplement pour avoir des convictions. Bien sûr le film est parfois trop démonstratif, en nous montrant que l'intégrité de Silvio le conduit au bannissement, tandis que sa compromission va lui permettre, au contraire, de s'intégrer dans la société. Le final un peu facile, peut-être imposé par les studios pour ménager le spectateur, ne fait pas oublier pour autant la maîtrise satirique du maître Risi.

En peu de scènes, il vise juste. Le constat est amer et imparable. On peut citer la séquence du dîner chez les royalistes, où le couple de crève-la-faim s'empiffre joyeusement le soir où le pays choisit d'être une république, ou encore celle où un Silvio, ivre mort, vomit sa frustration et crache son mépris sur les voitures qui passent. On rit bien souvent mais on n'oublie jamais la présence d'un sous-texte désabusé, d'un regard redoutablement lucide. Car finalement, en faisant aussi bien référence à l'économie, au politique, au pouvoir médiatique et même au monde du spectacle, Une vie difficile dresse un constat cruel de l'Italie des années 60, avec son individualisme et son immaturité politique. Le portrait est tellement judicieux qu'il annonce de nombreuses dérives à venir, comme la corruption, l'émergence d'un système mafieux, voire même l'arrivée d'un certain Silvio Berlusconi

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le 10 févr. 2023

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Procol Harum

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