Aventure sociale douce-amère au sortir de la guerre

Une vie difficile peut marcher comme une suite de Tutti a casa de Comencini, sorti un an plus tôt et comptant également Sordi au casting. Les deux films n'ont certes aucun lien narratif entre eux mais ils sont un distique parfait sur les conséquences de l'Armistice de Cassibile qui sépara l'Italie à la fin de la Seconde Guerre mondiale.


Cette "suite" est aussi belle à voir, si elle est moins poignante - et encore. Ce qui empêche son envolée, c'est d'être forcé à reconnaître les moments où Risi veut, comme à son habitude, laisser des motifs familiers à l'audience la plus large possible. Mais pour selon que le réalisateur ne se faisait pas une vocation de laisser des perles du septième art à la postérité, c'est une tâche incroyable dont il s'acquitte ici en ajoutant juste un ingrédient à sa recette fétiche : le poids des conséquences.


L'armistice n'est que le point de départ. Sordi partisan, Sordi journaliste, Sordi époux, ils sont un même homme que le retour à la vie "normale" d'après-guerre laisse prématurément entre deux âges, diminué. Sans éducation, il trouvera un bonheur éphémère dans l'humilité mais laissera bientôt le monde le dépasser et le faire vieillir trop vite. Chaque année qu'il traverse résonne du drame silencieux accompagnant l'Italie qui se relève du fascisme et construit une République, mais aussi de son drame propre, à lui le laissé-pour-compte, à lui le rebut social et sentimental dont la magnifique déchéance parsème une époque qui se précipite vers l'avenir.


Sordi partisan, Sordi journaliste, Sordi époux : ils reproduisent tous les mêmes erreurs, cependant cette fois-ci ce n'est pas pour nourrir un comique de répétition, mais bien un tragique de répétition. Car le poids des conséquences n'est pas que dans la dimension historique d'Une vie difficile, mais aussi dans le regret de n'avoir plus sa place après avoir participé, plus que jamais et plus que bien des hommes sans ambition, à l'édification d'une nation.


C'est fait si proprement que j'en oublierais presque qu'il y a un happy end. Aucune discordance néanmoins, pas plus qu'un "retour au naturel" de la part d'un Risi indécrottablement bon enfant : c'est juste l'accord majeur conclusif qui apporte sa touche d'optimisme inattendu dans une création bien assez solide pour supporter une surprise. Alors, Une vie difficile est-il vraiment moins poignant que Tutti a casa ? Peut-être Risi a-t-il simplement laissé infuser ce que Comencini asséna.


Quantième Art

EowynCwper
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le 7 janv. 2021

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Eowyn Cwper

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