Nous les avons tant aimés, les frères Taviani ! Ils nous ont tellement transportés, avec « Padre Padrone » (1977), « Le Pré » (1979), « La Nuit de San Lorenzo » (1982), « Kaos » (1984)...
Avec cette adaptation inspirée du roman de Beppe Fenoglio, les maîtres italiens retrouvent le contexte de la Seconde Guerre Mondiale telle que l’a connue l’Italie, opposant les « partisans » aux fascistes jusque dans les plus petits villages. Un contexte dont ils avaient su tirer tant d’intensité et de profondeur dans « La Nuit de San Lorenzo »... Ici, le premier plan laisse deviner le flanc d’un mont noyé de brume. Un sfumato qui ne quittera pas le film, à l’écran comme sur le fond.
On suit le surnommé Milton (Luca Marinelli, si impressionnant dans l’un des seconds rôles essentiels de « On l’appelle Jeeg Robot », de Gabriele Mainetti, en 2017), combattant auprès des partisans et tourmenté par le souvenir de l’amour qu’il porta à Fulvia (Valentina Bellè), jeune femme qui se jouait de ses sentiments et ne s’intéressait à eux que pour en extraire les belles lettres que son soupirant lui adressait. En secret, et pas si abstraitement, elle lui préférait son meilleur ami, Giorgio (Lorenzo Richelmy), actuellement partisan dans une autre brigade. Apprenant fortuitement la nature charnelle d’un lien qu’il n’imaginait qu’amical, Milton (qui avait aussi envisagé de se surnommer Hamlet, en toute simplicité...), comme possédé, se met en tête de rejoindre son ami et de lui extorquer des récits. Mais Giorgio vient d’être pris par les fascistes. Il s’agira donc, pour Milton, de trouver un prisonnier ennemi et de le monnayer en échange de son ami... La belle Fulvia, elle, est partie loin.
Double tension, donc : guerrière et amoureuse, sur fond de rivalité quasi-fraternelle. Et pourtant rien ne prend : la belle du souvenir, assez fade, se conduisait en garce, si bien que l’on ne comprend l’amour qui lui est porté ni par le biais du physique ni par le biais de l’affectif ou de l’intellect. Quant aux jolis et jeunes combattants, ils arborent tous des mines de magazine, si bien que, même maculés de boue, ils semblent davantage avoir enduit leur délicat épiderme d’un masque de beauté que revenir d’un combat éprouvant. Les héros grimacent ou écarquillent leurs yeux tant qu’ils peuvent, afin de nous rendre témoins de leurs tourments, mais l’épisode de guerre finit par nous laisser aussi indifférents que la poignante affaire amoureuse. Et mieux vaut taire la musique, si éloignée de l’ardeur d’un Nicola Piovani, et soulignant ici lourdement chaque étape du scénario.
Il faudra fureter dans les coins pour retrouver un peu de la folie et de la démesure des frères Taviani. On est presque content de croiser une petite fille qui choisit de rester blottie contre sa mère morte fusillée ; ou un prisonnier fasciste qui mime dans l’air et avec sa bouche un jeu de batterie folle, furieusement ressemblant au bruit de la mitraille, et que seule une vigoureuse salve, justement, fera taire. Mais en ce qui concerne les personnages principaux, deux jours après la vision du film, on a oublié ce qu’il advient d’eux finalement...
On est d’autant plus navré d’être ressorti dépité de cet ultime long-métrage du duo Taviani que l’on avait espéré un final flamboyant, ravivant les cendres de la grande époque. Or non. Du grand feu il n’est resté que les fumerolles, se refusant à libérer l’écran.