Vittorio Taviani est mort le 18 avril 2018, Una questione privata sera donc le dernier film du plus célèbre duo du cinéma italien - en effet, on ne voit pas Paolo - 87 ans - continuer tout seul après plus de 50 ans de collaboration avec son frère.


Una questione privata ne sera pas à mettre dans la case chef d'oeuvres des Taviani ; pourtant, par son message, cet ultime film peut apparaître, à bien des égards, comme la meilleure fin possible du duo : après Contes italiens, Una questione privata est un ode à la jeunesse, à la vie et à l'amour. Plutôt joli quand on sait que ceux qui ont fait le film sont nonagénaires.


35 ans après la Nuit de San Lorenzo, Les Taviani reviennent sur les années de guerre et la lutte contre le fascisme. Nous suivons celui que l'on surnomme Milton (Luca Marinelli), partisan en lutte contre les chemises noires dans le sud du Piémont en 1944. Milton est hanté par des souvenirs datant de l'année précédente et de sa rencontre via son ami Giorgio (Lorenzo Richelmy), de la belle Fulvia (Valentina Bellè), les scènes qui les montrent dans le cadre feutré d'une belle demeure dans une ambiance d'insouciance et de séduction pourraient rappeler Le Jardin des Finzi-Contini. Pour Milton, La guerre est finalement accessoire en comparaison à l'amour qu'il porte toujours à Fulvia. Quand il apprend par la bonne de la maison que Giorgio et Fulvia ont pu avoir une histoire d'amour ensemble, il devient totalement obsédé : il veut savoir ! Or, Giorgio, partisan lui aussi, a été fait prisonnier par les Fascistes. Dès lors, Une questione privata va devenir le récit d'une quête effrénée, celle pour Milton pour mettre la main sur un prisonnier fasciste dans le but de l'échanger avec son ami ; une course contre la montre avant qu'il ne soit trop tard et que Giorgio ne soit fusillé.
Una questione privata, c'est l'irruption de l'amour, irrationnel et passionné, au coeur de la guerre. Milton, anglophile émérite, fait souffler un vent de romantisme britannique sur les montagnes piémontaises. Le film fait référence aux Hauts de Hurlevents et pour un peu, Milton voudrait se prendre pour Heathclift, enlevant son manteau pour courir dans une chemise immaculée face aux balles de ses poursuivants, désirant se suicider dans un grand sacrifice romantique. Le brouillard de Emily Brontë emplit tout le film, lui donnant un caractère fantastique là l'image des partisans couverts de boue, une présence spectrale sortant de la brume. Tout le film oscille entre rêve éveillé et réalité, le rêve devenant aussi un antidote possible à la violence (une petite fille préfère restée dormir contre le cadavre de sa mère - comme un mauvais rêve - que de s'enfuir). Les Taviani sont passés maître dans cet entre-deux, entre onirisme et réalisme - il n'y a qu'à se rappeler leurs adaptations des nouvelles de Pirandello (Kaos et Tu Ridi) ou plus récemment celle de Boccace (Contes italiens). Ce basculement vers l'étrange se traduit également par des faits étonnants, la petite fille qui veut dormir mais aussi ce personnage de fasciste sadique fait prisonnier et qui se prend pour un batteur de jazz (et qui fait de manière psychotique de l'air batterie). Ou par le fait que Milton, désirant mourir, marche et saute frénétiquement sur un pont miné dans l'espoir de sauter. Finalement, la mort ne veut pas de lui et c'est tant mieux, Milton comprend finalement que la plus grande résistance, au-delà d'accepter de mourir fusillé pour ses idées, c'est celle de vivre ; privilège de la jeunesse s'il en est que de vivre et d'aimer et dont Milton, incarnation de Beppe Fenoglio qui a écrit le livre dont le film est tiré, est un des plus fiers représentants.


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denizor
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le 11 juin 2018

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