Jeune femme, le premier long métrage de Léonor Serraille, ne brillait pas par son originalité dans le portrait fait, par une réalisatrice, d’une sorte d’alter ego et de ses déboires avec l’existence. Son nouveau projet, en revanche, la voit explorer de nouvelles thématiques, à travers le portrait familial d’une famille ivoirienne arrivée en France dans les années 80, et dont on suivra le parcours accidenté de l’intégration sur plusieurs décennies. De quoi alimenter les statistiques au doigt mouillé des réacs pourfendeurs du cinéma français, et, à l’autre bout du spectre, exciter les offensés qui s’interrogeront sur le droit d’une blanche à traiter de thématiques qui pourraient ne pas la concerne, avant d’apprendre qu’elle aborde ici le parcours de son compagnon, et s’interroge ici sur ce principe si complexe de l’identité en écho avec les enfants qu’ils ont eus ensemble.


Un petit frère suit, de manière chapitrée, les destinées de trois protagonistes, la mère, puis chaque frère, en dévoilant des facettes multiples d’un destin singulier : celui de l’arrachement au pays d’origine, des adaptations, de la découverte d’un monde qui exploite, accueille, séduit ou rejette. Outre l’interprétation impeccable de toute la distribution (mention spéciale à Annabelle Lengronne, et à Ahmed Sylla dans le dernier tiers, tout à fait convaincant dans un rôle à contre-emploi), le film parvient à restituer les personnages dans leurs complexités et leurs contradictions, en adoptant certes un point de vue, mais sans jamais virer dans le misérabilisme ou la victimisation. L’angle de vision traite ainsi avec une lucidité assez perturbante du rapport aux blancs, qu’ils soient employeurs, prétendants ou jeune fille séductrice, avec ce léger malaise quant au regard qu’ils portent sur l’autre, entre arrogance discrète et goût de l’exotisme.


Le film n’en souffre pas moins de lourdeurs d’écriture et de procédés de mise en scènes assez éculés, comme un baiser sur les toits dérivant en un travelling sur le ciel ; une voix off littéraire ou des répliques didactiques (« l’école, c’était mon papa ») alourdissent le propos, et la distribution des situations vire un peu au catalogue de tous les enjeux du sujet, au point d’en désactiver la charge émotionnelle, à l’image de cette illustration finale du rapport du prof de philo aux policiers. Comme si les aspérités réelles du sujet (les grands absents, ceux restés au pays, l’exil terrible du frère revenu au point de départ) s’estompaient un peu dans le cadre trop balisé d’un dossier sociétal.


Sergent_Pepper
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le 3 févr. 2023

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le 3 févr. 2023

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