Étrange parenthèse que ce Cable Hogue, coincé entre les parpaings de violence noire que représentent La Horde Sauvage et Chiens de Paille : une ballade éponyme qui n’est est pas vraiment une, la construction d’une utopie un peu précaire, et la tentation, pour Peckinpah, d’une trêve en forme de quasi comédie.


Ses thématiques de prédilection sont pourtant bien présentes, dès la scène d’ouverture qui va voir un varan subir le même traitement que les poules dans Pat Garrett : lieu de non-droit, l’Ouest est en voie de civilisation ; la destinée d’un homme, perdu dans le désert et qui, au seuil de la mort, découvre une source d’eau va permettre l’ébauche d’une colonisation de l’espace.


Le cours des choses est toujours identique : on commence par le langage des armes, puis on s’occupe de cadastre, de concessions et de signatures. De la même façon, la femme sera une prostituée avant d’aimer, une croqueuse de diamant avant d’être une épouse énamourée.


Le regard est particulièrement distancié : avant le requiem empathique de Pat Garrett, Peckinpah opte ici pour une certaine ironie, non dénuée d’une forme de tendresse. Tout semble réversible : le propriétaire foncier est un rustre illettré, son comparse un faux prêtre qui retourne son col en fonction des circonstances, comme d’autres le feraient de leur veste. La tonalité est résolument provocatrice, notamment dans cette scène où ce dernier profite de sa fonction pour fricoter avec une femme lui confiant son inquiétude.


Mais c’est sur la forme que cet opus se distingue le plus : dès le split-screen du générique, Peckinpah semble s’accorder quelques libertés, qui ne se feront pas sans lourdeurs : qu’il s’agisse des zooms insistants sur un décolleté, et jusqu’aux très perturbants accélérés qui renvoient à Benny Hill ou au grotesque de Mon nom est Personne, la tonalité est résolument celle de la farce.
Certes, après la comédie et l’utopie éphémère d’un oasis dans le désert, la mélancolie reprend ses droits : à l’Ouest primitif succède une nouvelle ère, qui voit débarquer d’étranges moyens de transports mécaniques, la voiture et la moto. Obviously, Cable Hogue wasn’t made for these times.


L’épilogue, qui voit le protagoniste renversé par une voiture, ne quitte jamais tout à fait la distance ironique de l’ensemble du récit : par la belle idée d’un éloge funèbre fait du vivant du principal concerné, par ce décès ridicule et inattendu, auquel lui-même ne semble pas vraiment croire.
Atypique, un peu lourd, Cable Hogue est à l’image de son protagoniste : rustre, mais attachant.


Une enclave où sourd une empathie suffisamment rare pour être mentionnée dans l’œuvre noire de Peckinpah.


(6.5/10)

Sergent_Pepper
7
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le 20 mars 2017

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Sergent_Pepper

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