Un Mariage
6.8
Un Mariage

Film de Robert Altman (1978)

Après Nashville sorti trois ans plus tôt, Un mariage reprend le concept du film choral cher à Altman, et qu’il portera à son sommet avec Short Cuts. L’ambition est plus modeste dans l’écriture, puisque le récit se limite à 24 heures d’un mariage au cours duquel la réunion de deux familles va permettre son lot d’intrigues secondaires. En grande partie improvisé par les comédiens sur un canevas relativement convenu (adultère, révélations de grossesse ou coming out, règlements de compte…), le panorama familial va installer une gradation accumulant les catastrophes, dans un jeu de massacre dont est coutumier le réalisateur.


Le début a beau jouer d’une solennité pompière, la petite tâche invisible remarquée par la maîtresse de cérémonie (Geraldine Chaplin, névrotique à souhait) sur la robe de la mariée donne le ton : rien ne pourra coller au paraître kitsch et grotesque qu’on prend pour du prestige.
Le premier véritable plaisir octroyé par le film intervient peu après la cérémonie, lorsque l’on filme la grand-mère alitée, occasionnant des retrouvailles très émouvantes avec une Lillian Gish de 82 ans, qui s’amuse avec malice de ce rôle éphémère, puisque sa mort va devenir l’un des grands ressorts de la comédie à venir.


L’aisance d’Altman à gérer la collectivité est toujours aussi manifeste : chaque personnage dissémine son caractère dans des retours récurrents qui affinent des portraits pour la plupart à charge, entre un médecin pervers et alcoolique, un patriarche émigré (Vittorio Gassman, qu’on retrouve aussi avec plaisir dans cet exil), une nymphomane lunaire et mutique (Mia Farrow), une candidate à l’adultère ou des sœurs en compétition. S’ajoute aux élites endimanchées quelques domestiques, une équipe de bras cassés à la sécurité et de vidéastes chargés d’immortaliser les événements, pour une dose supplémentaire de satire. Cette approche en abyme se prolonge dans les discours des personnages, qui, comme conscients de leur artificialité, font souvent référence à des films : une sexagénaire parle de ses premières règles en évoquant l’ouverture traumatique de Carrie, on convoque Jennifer Jones et ses belles dents, on appelle le père du marié Corleone au lieu de Corelli… chacun tente, vainement, de s’inventer une existence (voir la façon dont chacun raconte avoir été témoin de la mort de la grand-mère) ou d’insuffler une part romanesque à sa morne existence, bien conscient d’appartenir à une époque où la libéralisation des mœurs offre toutes les permissivités : échangisme, pétard au petit matin, alcool coulant à flot ou conseil de famille pour envisager un avortement ponctuent ainsi les ors d’un mariage célébré en grande pompe.


Le drame de l’aube, qui semble un temps citer le dénouement du Mépris, ajoutera à cette ambivalence de ton : alors qu’on pense avoir convergé, avec une certaine logique, vers la tragédie pure, le twist narratif sacrifiant des personnages d’arrière-plan permet un soulagement qui pourra pérenniser l’obscène médiocrité du groupe.


Reste cette statue noire aux yeux blancs contemplant, avec un effarement troublant qui double clairement celui du cinéaste, la valse vaine de ces pantins éphémères.

Sergent_Pepper
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Choral, Famille, Les meilleurs films se déroulant en moins de 24h, satire et Cycle Robert Altman

Créée

le 24 juin 2021

Critique lue 194 fois

7 j'aime

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 194 fois

7

D'autres avis sur Un Mariage

Un Mariage
Morrinson
7

Misères et meurtrissures du mariage

Trois ans après Nashville et quinze ans avant Short Cuts (pour ses incursions les plus célèbres dans le registre du film choral), Robert Altman s'adonnait encore une fois au genre qu'il semble...

le 12 déc. 2018

9 j'aime

Un Mariage
Pruneau
7

Mariés à tout prix

Un film sur la plus horrible invention de l'homme, le mariage (la version bourgeoise, probablement la pire). Des femmes qui font toutes peur avec leur robe saumon à vomir, Mia Farrow en tête. Une...

le 12 sept. 2010

9 j'aime

3

Un Mariage
EricDebarnot
7

Le cinéma contestataire US des années 70

Peinture d'une implacable noirceur (il y a une bonne quarantaine de personnages dans le film, et tous sont pourris, pervers, égoïstes ou simplement pitoyables), "Un Mariage" est encore un très bon...

le 7 oct. 2014

8 j'aime

5

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

765 j'aime

104

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

701 j'aime

54

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

615 j'aime

53