La Première Guerre Mondiale, une guerre des mondes, une guerre d’un monde. Un conflit sanglant qui plongea plusieurs nations dans un horrible bain de sang, dépassant les simples frontières de l’Europe, à l’image des tirailleurs sénégalais réquisitionnés pour les combats au front, dont Tirailleurs raconte l’histoire.


Tirailleurs, c’est d’abord une histoire de perspective, celle d’une guerre venue d’un autre continent pour troubler des vies jusqu’ici calmes et paisibles. Après une brève ouverture sur la découverte de restes humains à Verdun en 1920, le film s’ouvre dans la campagne sénégalaise, en 1917. C’est là-bas que Bakary vit avec sa famille, une vie paraissant simple et paisible, faire de peu sinon de choses essentielles. Un environnement qui semble bien différent de celui du front français, où fusent les balles et les obus. Un pays d’apparence calme, loin de la guerre, à condition que ça ne soit elle qui vienne elle-même. Traqués et chassés comme des bêtes, les hommes en âge de se battre sont pourchassés par des émissaires français venant chercher des soldats pour renforcer les rangs décimés sur le front. Un premier contact brutal, qui ne va engendrer qu’appréhension et lutte pour la survie, non pas des soldats, mais bien des hommes et de leur famille.


Avec cette réquisition de force à des milliers de kilomètres de la France métropolitaine, Tirailleurs expose d’emblée l’image d’une guerre qui touche tout le monde. Ce n’est plus l’affaire des simples forces armées, mais bien de tous les civils frappés malgré eux par cette guerre. Une transition s’opère entre ce monde paisible et ce monde violent, où la violence est devenue la seule forme de langage possible, où les instincts sauvages ont repris le dessus. Dans ce tableau de la Grande Guerre, c’est surtout la relation entre un père et son fils qui nous est racontée. Une relation qui doit évoluer très loin du cocon familial, dans un environnement hostile, où chacun va se révéler. D’un côté le père (un Omar Sy presque méconnaissable, s'exprimant uniquement en langue peule) cherchant la survie, notamment par la fuite d’un combat qui n’est pas le sien, et de l’autre le fils, qui, sur les sentiers du devoir, aperçoit les lumières de l’émancipation. Tirailleurs n’est pas un film qui raconte uniquement le sort des tirailleurs sénégalais et leur contribution, trop souvent oubliés, il raconte également le passage à l’âge adulte, le sentiment d’appartenance, et l’injustice.


Tirailleurs est de ces films qui explorent plusieurs pistes, en esquivant bien le piège de l’inventaire. Il tente de livrer plusieurs messages, qui nous parviennent grâce à une narration et une mise en scène qui restent efficaces, au risque de pencher vers l’académisme. C’est aussi un film qui se construit en cycles, avec des recommencements, progressant vers le dénouement qui se dessine. Certaines scènes se déroulent également dans les tranchées et sur le front, mais elles ne sont pas majoritaires. Dans Tirailleurs, il y a de la violence physique, mais c’est plus la violence psychologique et sa représentation qui priment ici. Une violence qui s’imprime sur des regards, qui s’entend à travers des dialogues, souvent rendus difficiles par les différentes langues parlées.


En considérant ses partis pris et son point de départ, Tirailleurs est un film intéressant dans ce qu’il développe et dans la manière dont il développe ses sujets. Il est certain qu'on n'y retrouvera pas l'intensité des Croix de Bois, d'A l'Ouest, rien de nouveau ou encore des Sentiers de la Gloire. La rudesse des combats, la violence physique, la confrontation à un froid inconnu de ces hommes vivant avec un autre climat... Ces aspects restent au second plan, voire occultés. Manque de moyens ? Manque d'expérience ? Ou le message du film n'était-il simplement pas là ? Peut-être un peu des trois, sûrement le troisième point en tête. Le film donne la parole et un visage aux oubliés, à ceux qui ont quitté leur terres sans pouvoir y retourner, sacrifiés pour un combat qui ne signifiait rien pour eux. « Aux Morts ! » utilisera un général comme ponctuation finale d’un éloge funèbre devant l’unique cercueil drapé du drapeau tricolore, celui d’un officier blanc, mort parmi nombre d’autres soldats venus d’Afrique. Le temps a passé, mais certaines choses ne doivent pas être oubliées.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

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le 6 janv. 2023

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