Dès l’annonce de sa présence à la Quinzaine des Réalisateurs cette année, The Lighthouse a figuré parmi mes immanquables de ce Festival. Certes, je n’avais pas vu The Witch, mais le simple énoncé de l’intrigue globale et du casting suffisait à me faire me précipiter pour aller le voir, quitte à devoir attendre trois heures. Si j’avais déjà des espoirs avant d’aller le voir, je n’étais certainement pas prêt à vivre ce que j’allais vivre.


L’ouverture du film plante rapidement le décor. Nous sommes avec ces deux gardiens de phare, venant effectuer la relève, voguant sur un bateau dont nous voyons l’étrave briser les vagues au rythme de la musique qui résonne dans la salle. Enveloppés dans ce noir et blanc verdâtre et dans ce 1.19:1, nous posons aussi le pied sur cette île au milieu de nulle part, prêts à devenir les observateurs de la vie de ces deux gardiens de phare envoyés ici en mission pendant quatre semaines. Alors que la sirène supplante régulièrement le bruit du vent de les cris des mouettes, la caméra lévite alors avec fluidité dans ce décor que nous découvrons, avec lequel nous nous familiarisons, profitant déjà de premiers grands instants de beauté dans ce film qui rappelle à quel point le cinéma est, avant tout, une expérience.


En effet, se livrer à une lecture purement analytique de The Lighthouse ne paraît pas être ce qu’il y a de plus judicieux à faire, tant j’ai vécu le film avant de chercher à le comprendre. Car The Lighthouse est, à l’instar de ce phare qui accueille et enferme ces deux hommes, un film qui s’empare de vous, qui vous enferme le temps d’une séance dans une tempête visuelle et sensorielle qui vous plongera dans un étrange mélange d’effroi et de fascination. L’esthétique du film est remarquable, empruntant à l’expressionnisme, avec des jeux de lumières et d’ombre très prononcés, usant régulièrement de gros plans sur les personnages, pour souligner leurs expressions et leurs regards, allant parfois jusqu’à ramener au cinéma muet, dans le jeu des acteurs et la construction des plans. The Lighthouse est un film qui se construit comme un conte lointain, le récit d’une vieille légende, se forgeant sur des mythes pour lui-même en devenir un.


C’est la convocation de nombreuses légendes marines, comme les sirènes, poussant des cris stridents qui résonnent encore dans ma tête et me donnent des frissons. C’est l’appel à la mythologie grecque, allant de Triton à Prométhée. C’est le développement de toute une imagerie mêlant rêve et réalité, poussant les deux hommes jusqu’aux plus sombres recoins de la folie. Autant d’éléments faisant de cette histoire de gardiens de phare une nouvelle légende sur la dualité de l’être humain, et de sa quête d’élévation et de pouvoir. Willem Dafoe et Robert Pattinson, impressionnants, forment un duo qui peut être aussi attachant qu’inquiétant, dont le principal sujet de discorde reste l’accès à la lanterne du phare, cette lumière située au sommet de l’île, se muant en un trésor jalousement gardé d’un côté, et ardemment convoité de l’autre. Alors que l’océan déchaîne sa puissance, qu’il envoie ses vagues se fracasser contre les rochers et recrache ses épaves, l’alcool inonde les esprits et dévore les cœurs, broyant l’humanité dans un puissant vacarme.


Ayant vécu toute mon enfance et mon adolescence en Bretagne, j’ai toujours été près des océans, entendant, la nuit, la lointaine sirène des phares, et vécu de nombreuses tempêtes. Cette idée de l’inconnu, du lointain, d’une immense force que nous ne pouvons dompter, a toujours occupé mon esprit, et The Lighthouse est venu raviver tous ces éléments pour me prendre au piège. Un piège dont je ne me suis jamais sorti au cours de la séance, fasciné par l’esthétique si particulière du film, directement héritée de l’époque du muet et des quelques années qui suivirent, ainsi que par le travail remarquable sur le son, et ce duo d’acteurs qui fonctionne à merveille. Quelque part, je m’étais toujours demandé comment vivaient les gardiens des phares à cette époque, considérant cela comme une véritable épreuve pour un être humain. The Lighthouse répond à cette question et offre, surtout, une expérience inattendue, grisante et glaçante. Probablement ma meilleure de cette année, au point d’en faire, potentiellement, mon film favori de cette année, à date.


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le 20 mai 2019

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