Il en va du vieillissement des œuvres comme de celui des personnes : la question n’est pas tant de savoir si l’on vieillit bien ou pas, mais plutôt d’accepter l’idée que l’âge accroît la les défauts qui étaient présents depuis le début. L’électro un peu craspec et l’exagération de la photo jaunie d’Orange Mécanique vieillissent d’avantage que la vision pourtant très 80’s du futur de Blade Runner, parce que ses néons ne sont que la part visible d’un continent de réflexions sur l’humanité et la mort. Le professeur du Cercle des poètes disparus convainc moins aujourd’hui parce que les pré-ados qui en furent ébranlés ont grandi sans que le film ne change son discours ; Ferris Bueller ne meurt jamais, parce que son humour transcende son époque, tandis que le panel socio-générationnel de Breakfast Club daube bien la naphtaline d’un regard voué à évoluer dans ses leçons limitées.


Thelma et Louise, dans tout ça, revient régulièrement dans les références d’un cinéma hollywoodien qui peut se targuer d’avoir coché la case féminisme. Ce road-movie en forme de cavale sans retour substitue en effet au traditionnel couple d’amants criminels un duo girl power qui tranche avec le conservatisme ambiant, et sonne comme une revanche à grande échelle des victimes si nombreuses de la bourinitude masculine. Il faut reconnaître que la gent en prend pour son grade, et qu’à l’exception d’une figure vaguement paternelle du flic en charge de la traque, c’est un défilé de phallocratie sans légitimité, de portraits ridicules ou violents qui émaillent une Amérique installée avec confort dans le canapé de sa beaufitude.


Thelma et Louise propose ainsi une trajectoire violente qui vire au feel good movie vengeur, à grand renforts de sorties de route de plus en plus marquées. Un refus de l’autorité, une affirmation de liberté comme seules les routes rectilignes et les espaces revisités du Grand Canyon en proposent, le tout dans un atmosphère entre larmes et euphorie.


Cette dernière est l’occasion pour Ridley Scott de s’amuser avec sa caméra lancée à la poursuite d’une voiture sillonnant les Etats à tombeau ouvert. De nombreuses séquences, assez gratuites, jouent ainsi d’un formalisme vain et clipesque qui vernissent le film d’une patine assez clinquante. A mesure que les héroïnes prennent de l’assurance, le ton se fait plus comique, les ressorts d’écriture plus grossiers et faciles, à coups de camions citernes qui explosent ou de flics enfermés dans un coffre aux prises avec un rasta de passage. La fuite en avant qui contenait une part assez sincère de désespoir a désormais du mal à convaincre, n’en déplaise à cette fameuse séquence finale, gâchée par un traitement absolument abominable (image ralentie et figée, best of des moments sympas sur le générique de fin) et qui, pour le coup, précipite effectivement le film dans un gouffre.


Une leçon surnage néanmoins de ce dénouement : de certains films, il ne faut effectivement garder que certains photogrammes : les deux héroïnes dans leur décapotable, leur voiture sur la ligne d’horizon du Grand Canyon, tout au plus, une affiche inscrite dans l’histoire du cinéma Hollywoodien. Un cliché qui résume le fond s’inscrit bien mieux dans l’histoire que la forme maladroite et datée qui a pu lui donner naissance.


(5.5/10)

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le 5 févr. 2019

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Sergent_Pepper

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