OVNI cinématographique s'il en est, The Wicker Man a tout de la petite série b destinée à ne pas franchir le seuil des années 70 et à sombrer doucement dans l'oubli. Ce film étrange, qui embrasse pratiquement tous les genres pour finalement n'en respecter aucun, est tellement décalé qu'il fit même un bide retentissant lors de sa sortie en salles en terre Britannique ; c'est dire ! Par ailleurs, il faut reconnaître que sa dimension "film fauché", assez marquée, et son état d'esprit très seventies lui donnent un aspect un peu vieillot, ou, au mieux, gentiment kitsch pour le spectateur actuel. Il n'est pas facile d'aimer The Wicker Man, ce n'est rien de le dire ! Et pourtant, son statut de film culte, acquis progressivement au fil du temps, ne semble en rien usurpé : car, en plus de tenir un propos plus malin qu'il n'y paraît, The Wicker Man est surtout une œuvre joyeusement décalée et gentiment irrévérencieuse dans la plus belle tradition du cinéma de la perfide Albion.

The Wicker Man, avant toute chose, est un joli pied de nez à cette institution moribonde qu'est devenu la Hammer. Dracula et consorts n'ont plus la cote, les histoires s'épuisent et épuisent le spectateur par la même occasion. Robin Hardy, en s'appuyant sur un scénario d'Anthony Shaffer (à qui l'on doit, quand même, Frenzy et Sleuth), s'emploie, avec un vrai talent, à prendre le contre-pied de ces productions terriblement désuètes. Le cadre, sombre et gothique, s'efface au profit d'un univers lumineux et bucolique, les symboles morbides (les cimetières par exemple) servent maintenant à célébrer la vie et surtout les bons vieux monstres ne sont plus là pour permettre à l'ordre moral et religieux d'exhiber sa toute-puissance. Sans vampire à anéantir, sans figure du mal facilement détestable, l'Homme se retrouve finalement seul avec ses croyances et sa morale, seul avec lui-même et ses tourments.

Assez judicieusement, The Wicker Man se joue des codes moraux, énoncés lourdement dans les productions de la Hammer, en représentant, par exemple, le porte-parole de l'ordre et de la foi comme un être sinistre, névrosé et psychorigide. A contrario, les "monstres" d'antan paraissent plus sereins. Bien entendu l'influence hippie est présente et renforce l'aspect daté du film. On peut ainsi reprocher à The Wicker Man de réaliser un véritable inventaire des clichés liés au Flower Power (liberté sexuelle, existence en harmonie avec la nature, etc.). Seulement, si l'on ne retient que ce simple constat, on passe à côté de l'essentiel. Car, sous ses aspects de petit film d'horreur, The Wicker Man se dote d'une réelle impertinence, fustigeant aussi bien la société moralisatrice que l'intégrisme religieux. Le christianisme, à l'instar du paganisme, est perçu comme une simple superstition pouvant emmener l'Homme sur le chemin de la folie. La grande réussite du film est d'asséner cette terrible conclusion après nous avoir fait succomber au charme de cette communauté, nous rendant, quelque part, complice de ses méfaits.

Mais au-delà de ces différentes considérations, The Wicker Man constitue surtout une bien belle offrande faite aux cinéphiles avides de curiosités, de "trucs" bizarres, déjantés et délirants. Le film est un vrai festival à lui tout seul, nous faisant passer du thriller au film musical avec un même bonheur. Bien sûr, le visuel accuse son âge mais tout de même, comment ne pas être charmé par cet univers où se mêle joyeusement ambiance bucolique, folk psychédélique, perversité latente et doux parfum d'érotisme. Le film assume parfaitement ses différentes excentricités, nous délivrant quelques passages surréalistes (la danse nue de Britt Ekland) ainsi qu'une composition mémorable de Christopher Lee. Rarement l'expression ovni cinématographique aura été aussi bien appropriée. Savoureux !

Créée

le 16 janv. 2024

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17 j'aime

Procol Harum

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