The Northman était attendu depuis la sortie de The Lighthouse en 2019 et son annonciation: voir un réalisateur «indé» briller dans un tel esprit de huis-clos puis dévoiler un projet aussi ambitieux que celui de The Northman relevait autant de la satisfaction (et de la juste appréhension) d'assister au trajet d'un tel cinéaste que du fantasme de voir revenir un Hollywood d'auteurs. Non seulement cette chimère est encore davantage enterrée par l'échec du film, au box-office des États-Unis face à la concurrence du Marvel Cinematic Universe, puis sûrement au box-office français (la sortie du film en VOD aux USA quelques jours après sa sortie n'y sera pas pour rien), mais le film en lui-même est un échec: Robert Eggers perd chez les vikings toute la grâce qu'il avait obtenue en Nouvelle-Angleterre.


Cet échec était pourtant prévisible en un sens: passer du cinéma indépendant directement à une logique de studio a de quoi marquer un réalisateur, et en ces temps de faiseurs hollywoodiens comme on en voit souvent dans les plus gros succès, l'auteur a du mal à être concilié avec la logique de studio. Produire un produit formaté, lisse, et de pur divertissement sied de toute évidence mal à Eggers, tout comme l'on imagine bien que les flots d'hémoglobine, les transes chamaniques et autres fioritures du cinéaste ne plaisent pas à la 20th Century Fox.

Pour autant il s'agit de ne pas être caricatural: si le montage imposé par le studio se ressent, sacrifiant le mystique à un récit plus classique et structuré artificiellement en parties, ce n'est pas à priori le réel sacrifice d'Eggers. Car le projet dès son origine apparaît déjà malade. Chez Eggers, derrière les dialogues en anglais shakespearien, tout est bien question d'espace. Mais si celui-ci était brillamment sculptée dans The Lighthouse, il apparaît bien plus comme une masse informe dans ce Northman.


En effet, la restriction en huis-clos laisse place au grand air, aux rivières nordiques, aux plaines islandaises, au volcan majestueux. Tant d'espaces se succédant, de lieux se remplaçant, artificiellement, sans évolution marquée durant ces deux heures. Surtout, tant de topos dont Eggers ne sait quoi faire: ces lieux épiques, emblématiques d'une tragédie plus grande que nature, apparaissent bien creux isolés dans leur artifice, sans réel apport au genre, ni intégration judicieuse.

Cette pauvre gestion de l'espace transpose spatialement ce qui porte préjudice au long-métrage: un sentiment de lourde vacuité qui domine le tragique du fameux mythe de vengeance shakespearien. En clair, un Hamleth en soldes, sans le H, comme si Eggers ne savait que faire de son jouet coûteux. Les quelques expérimentations intéressantes sont ainsi refrénées par la grossièreté du tout, ses excès. Quand le mythologique, le chamanique, apparaissent, les voix rocailleuses, les accents de r qui se roulent et le gore béat ne tardent pas à venir.

La tragédie perd alors tout sa substance. La grandeur cède à la médiocrité, la gravité au grand-guignolesque, et l'irrémédiable mécanique funeste, décision cruelle des dieux, à l’œuvre d'un scénariste arbitraire, s'enlisant dans le faussement et ridicule démiurgique.


C'est ainsi, en s'ouvrant, que Robert Eggers se voue à l'échec: passée la folle intensité de son huis-clos, son génie (prétentieux) s'atténue, s'efface, tel du vent, dans l'air nordique. En espérant un retour en bonne et due forme pour le remake de Nosferatu, plus propice déjà à son épanouissement.

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le 12 mai 2022

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