Je serai éternellement reconnaissant à Steven Spielberg. Il m'a poussé vers la cinéphilie, car, étant un mioche des années 1980, c'est notamment par son intermédiaire, lorsqu'il était au sommet du sommet, que j'ai découvert le septième art. Il a provoqué une bonne partie de mes plaisirs cinématographiques les plus intenses, les plus enthousiasmants. Bordel de merde, qu'est-ce que je kiffe à mort la trilogie Indiana Jones (oui, la trilogie !), E.T., l'extra-terrestre, Duel ou encore Rencontres du troisième type. Merci, merci, merci, Monsieur Spielberg.


Mais, après Arrête-moi si tu peux inclus (bon, allez un peu avec Tintin quand même !), je n'ai jamais plus retrouvé cette jouissance. Si, maintenant, je continue à voir chacun de ses nouveaux films, c'est plus par gratitude, par rapport au passé, que par réelle envie du présent (oui, je sais, c'est con, mais je ne peux pas m'en empêcher !). En effet, je trouve que ses œuvres sont devenues conventionnelles, sages, sans surprises, avec une mise en scène plate et lisse. Des œuvres qui auraient pu être réalisées tout aussi bien (ou mal !) par n'importe qui d'autre sur le plan artistique. Ouais, sans plus attendre, c'est parti, je vais défoncer The Fabelmans...


Steven Spielberg, dans la séquence d'introduction, met en scène son alter-ego, tout jeune enfant (oui, parce que c'est un long-métrage à très forte teneur autobiographique !), avoir un choc émotionnel en visionnant en salle Sous le plus grand chapiteau du monde. On comprend que ce sera ça, sa vie, le cinéma, et rien d'autre. Le sujet de l'ensemble sera l'amour du cinéma, avec comme toile de fond son enfance et son adolescence (égrenées d'inévitables impératifs familiaux qui perturbent ou s'immiscent quelquefois dans son auto-apprentissage !) au cours desquelles il a façonné celui qu'il deviendra plus tard et que l'on connaît et admire tous et toutes. Euh... stop... stop... stop... non, ce n'est pas ça, le sujet...


Alors, certes, on voit brièvement le jeune Spielberg... euh, pardon... le jeune Fabelman tourner, mais c'est au cours de séquences très brèves, très vite expédiées, parce qu'il faut bien montrer qu'il tourne, c'est tout. Il ne s'étend absolument pas sur comment il fait pour financer ses petits films, sur comment il conçoit ses scénarios, très peu sur comment il obtient tel trucage visuel efficace avec deux francs six sous et pas du tout sur comment il trouve des lieux pour les projeter en dehors du cercle familial.


Le cinéaste passe à chaque fois à côté de l'occasion d'évoquer le cinéma, de sa grande passion.

Il est en train de monter un film ? Le mettre en scène en train de créer, de faire en sorte qu'un film puisse définitivement prendre forme ? Pff, voyons, pas assez intéressant (enfin, pour lui !) ! Pourquoi parler de cinéma juste en faisant assister à un processus de montage d'une excursion familiale ? Pourquoi ne pas parler d'un cinéaste en train d'apprendre, de prendre naissance ? Pourquoi ne pas souligner son émerveillement parce que servir l'art est un bel acte ? Ben non, il faut qu'il rattache stupidement cette scène au fait qu'il découvre, en visionnant la pellicule des images, qu'il a filmées avec sa caméra, que sa mère est amoureuse du meilleur pote de papa (avec le Concerto in D Minor, BWV 974 : II. Adagio de Bach au piano, en fond sonore, pour bien faire comprendre que l'on doit obligatoirement être trop ému aux larmes à cet instant précis !). D'ailleurs, on est au summum de la paresse scénaristique ou alors les gosses Fabelman ont sérieusement besoin de consulter un ophtalmo d'urgence. Ben oui, les deux tourtereaux se tripotent à cinquante centimètres des enfants. Le monsieur aurait fourré la dame à ce moment-là que ça aurait été aussi discret et subtil.


Le protagoniste projette un film, qu'il a réalisé, au cours du bal de fin d'année de son lycée ? Cela marque un petit triomphe personnel qui va l'encourager à persévérer dans cette voie ? Ben non, pourquoi ? Il est trop occupé à chialer sur le projecteur, car sa petite amie vient de le plaquer.


Vous allez me dire que Spielberg a bien le droit de représenter ses problèmes familiaux ou sentimentaux au lieu de se consacrer à ce qui est toutefois le cœur de son existence, de ce qui l'a distingué des autres dès les premières années de sa vie. D'accord, mais pourquoi, dans ce cas, il balance une scène finale lors de laquelle le personnage principal rencontre John Ford (de plus, s'il y a une admiration particulière, prononcée, du jeune homme pour ce géant du cinéma, elle n'a pas du tout été mise en avant lors de tout ce qui a précédé !) ? Pourquoi cette scène faisant comme s'il avait parlé surtout de cinéma jusqu'ici ? Ce n'est pas le cas et cette rencontre apparaît, en conséquence, comme un cheveu sur la soupe.


Au moins, on sait où il a eu l'idée du magnifique plan, concluant à jamais la trilogie Indiana Jones (oui, la trilogie !), de ce beau coucher de soleil avec Indiana (ou Junior, c'est selon !), son père Henry, Marcus et Sallah chevauchant, dans le désert, vers l'horizon, sur les notes triomphantes, mythiques et sublimes du géant John Williams (au passage, ici, pour The Fabelmans, en mode peu inspiré à la BO !). Putain, un des plus fabuleux finals de toute l'histoire du cinéma.


Bon, OK, OK, pour en revenir à l'autre merde, mon attente thématique a été déçue. C'est un film sur lui, sa famille et presque rien d'autre. Je vais le prendre comme ça. Je vais me concentrer que sur ça, ne juger que sur la manière dont c'est traité, en oubliant le cinéma.


Ben, même en le prenant sous cet angle, c'est, pour moi, un gros ratage.


Déjà, les acteurs sont nuls. Michelle Williams, excellente d'habitude, se contente de faire constamment des yeux exorbités de personnage d'anime ayant pris des corticoïdes, sans que l'on sache si son personnage est triste, si son personnage est content. C'est toujours la même expression du début jusqu'à la fin. Paul Dano, à qui l'histoire ne donne pas grand-chose à jouer alors qu'il incarne juste le père, essaye de battre Williams à ce jeu des yeux, espérant gagner des points sur elle en ouvrant aussi le plus fréquemment possible la bouche en rond. Si Seth Rogen avait, à de nombreuses reprises, prouvé qu'il était énervant dans le cabotinage, là, il prouve qu'il est insignifiant dans la retenue (oui, quand on n'a pas de talent, on n'en a pas !). Julia Butters... oui, la petite fille géniale face à Leonardo DiCaprio, le temps d'une scène brillante dans Once Upon a Time… in Hollywood... ben, elle a le droit d'être au dixième plan, alors qu'elle joue juste la sœur du protagoniste... presque que dalle, bien sûr... une sœur dans une famille, ce n'est rien du tout... une personne sans importance... sauf lors d'un moment tout tristounet, pendant lequel la comédienne croit qu'être la plus criarde possible est le meilleur moyen d'être la plus convaincante. Judd Hirsch pollue dix minutes par sa présence, en en faisant insupportablement dix mille gigatonnes, avec comme seule fonction d'énoncer un truc que le spectateur avait compris tout seul, par lui-même. Bref, seul le singe est bon. On devrait lui refiler l'Oscar du meilleur second rôle. Ah oui, vous aurez compris aussi que, inévitablement, la construction des personnages n'est pas formidable non plus.


Et les thèmes du couple, des relations père-fils, des relations mère-fils ont été un milliard de fois mieux abordés, d'une façon plus profonde et plus fine, dans des œuvres comme Indiana Jones et la Dernière Croisade, E.T., l'extra-terrestre, Rencontres du troisième type, Arrête-moi si tu peux ou même l'injustement oublié Sugarland Express. Il y a un milliard de fois plus d'émotion à se dégager d'un "Indiana, Let It Go!" (lancé par le père à sa progéniture, le fameux héros au fouet et au traveller, pour mettre en exergue que la véritable quête de l'intrigue, c'est la révélation de l'amour paternel et non pas le Graal !) que dans les deux heures et demie entières de The Fabelmans.


Ensuite, à partir du déménagement en Californie et lors de l'entrée au lycée, c'est une succession vertigineuse de séquences clichées, avec évidemment des sportifs bien caricaturaux à la mâchoire carrée en méchants harceleurs. Des clichés (avec bal de promo intégré !) qui n'auraient pas détonné dans la dizaine de séries de merde pour ados que propose Netflix chaque année. Au moins, je n'aurais pas eu à décoller mon gros cul de mon lit ou de mon canapé si j'avais choisi d'aller m'énerver, à la place, contre ce type de conneries sur la plateforme. Et je ne préfère pas penser à ma bêtise d'avoir payé un ticket.


Bref, en passant complètement à côté de ce qui faisait la spécificité de son enfance (et la sienne tout court !), de ce qui aurait pu rendre son film véritablement unique et intéressant, en dirigeant mal ses interprètes (et pourtant Michelle Williams ainsi que Julia Butters sont loin d'être des nullos en temps normal !), en ne construisant pas bien ses personnages, en piquant la tête la première dans les clichés, Steven Spielberg réalise un biopic sur lui-même vide, ennuyeux, sonnant faux, mal foutu.

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le 4 mars 2023

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Plume231

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