Après Ready Player One j'étais relativement peu intéressé lorsque les premières informations sont sorties à propos du futur film de Steven Spielberg. J'avais du mal à voir l'intérêt d'un autobiopic qui ne semblait pas complétement s'assumer. Le remake de West Side Story m'avait suffisamment enthousiasmé pour finalement attendre ce film depuis de longs mois. Attente d'autant plus frustrante que le film a eu le temps de sortir et de bider outre-Atlantique. Mais ça y est, le film est enfin sorti en France, et ça valait la peine de l'attendre.


Le film s'ouvre sur un oner, la marque de fabrique de Spielberg, qui nous permet de faire connaissance de Sam, l'alter ego de Steven, et de ses parents. Ces derniers sont d'abord en dehors du cadre, mais finissent par se mettre au niveau de leur fils pour lui expliquer ce qu'est le cinéma et le rassurer. Alors que le père lui explique comment tout cela fonctionne techniquement (qui parle de persistance rétinienne à un enfant de six ans ?) la mère lui parle d'un rêve éveillé. Le plan se termine sur le nom du film à l’affiche : "The Greatest Show on Earth". Quelle belle périphrase pour qualifier le cinéma. Si on veut être taquin on peut dire que le film aurait pu s'arrêter ici tant ce plan synthétise les deux heures trente à venir.


Ce sont bien ces trois personnages qui seront les personnages principaux du film, justifiant ainsi le pluriel du titre. Car si la passion, voire l'obsession, de Sam pour le cinéma est un sujet important du film, celui-ci est aussi, si ce n'est avant tout, l'histoire compliquée mais touchante d'une famille. Un drame dans lequel il est difficile de faire ressortir un responsable, un méchant. Chacun fait de son mieux, comme souvent dans la vraie vie. Ce qui donne un caractère universel à cette histoire dans laquelle chacun pourra se reconnaître à un certain degré. Si cette partie est aussi réussie c'est notamment grâce au casting qui réalise un sans-faute : Sam, ses parents, son oncle Bennie, l'oncle Boris, les grands-mères etc…


À la fin du premier acte le film bascule avec une scène particulièrement réussie, le décès de la grand-mère maternelle de Sam. La mise en scène fait alors écho au premier plan du film. La mère tient dans ses bras sa propre mère sur le point de mourir, en se laissant complétement débordée par ses émotions, au point de ne plus être capable d'analyser la situation. Le père regarde impassiblement le signal de l'électrocardiogramme pour comprendre la situation, se détachant de l'humain pour se réfugier auprès d'une machine qui est la chose qu'il comprend le mieux. Sam quant à lui fusionne les deux approches. Certes il se tient à l'écart mais c'est directement le pouls qui fait battre le cou de sa grand-mère qu'il observe. "Les chiens ne font pas des chats" comme lui dira plus tard son père.


Le film regorge de détails qui semblent trop précis pour ne pas être des anecdotes et de vrais souvenirs. Cependant cela est toujours au service du récit. Jamais celui-ci ne s'arrête pour s'attarder artificiellement sur une anecdote particulière comme le font bien trop souvent la majorité des biopics. Spielberg n'hésite pas à modifier certains points ou la chronologie de certains événements, pour en faire un meilleur film j'en suis sûr, parce qu'il pense au public, mais aussi j'ai l'impression par pudeur vis à vis de ses parents récemment disparus. C'est sans doute ça qui explique par exemple l'inversion des rôles dans la séparation, ici c'est la mère qui s'en va, et le père qui reste. Alors que dans son cas c'est le père qui a été absent, comme il a pu le mettre en scène dans E.T.


Le film est rythmé par les différents courts métrages réalisés par le jeune Sam. Ce n'est sans doute pas anodin si à chaque fois on s'attarde quasiment autant de temps sur la production des films que sur la projection et la réception par le public de ceux-ci. Sam apprend que si les films ont autant de pouvoir sur lui ils lui permettent également d'exercer ce pouvoir sur les autres. Et comme aurait pu lui dire l'oncle Boris ce grand pouvoir implique de grandes responsabilités. Ses films peuvent faire ou défaire des amitiés, des couples, des familles… On le voit touché et surpris par les cris et les pleurs lors de la première projection publique. Apeuré lorsqu'il découvre la vérité sur sa mère et l'oncle Bennie… (Dans une scène incroyable, rappelant à la fois Blow Out et Minority Report) Sans réponse quand le beau gosse du lycée lui reproche des choses auxquelles il n'avait même pas pensé. Combien de fois cela lui est-il arrivé dans sa carrière ?


La version ado de Sam nous est présentée alors que lui et ses amis vont voir L'Homme qui tua Liberty Valance au cinéma. Film qu'il s'empressera de refaire avec ses moyens et qui reviendra plus tard dans le récit par le biais d'une affiche dans le bureau de la secrétaire de John Ford. Est-ce un hasard si c'est ce film de Ford ? Celui avec lequel l'irlandais commentait ouvertement son œuvre via une maxime devenue culte ? Spielberg souhaite-t-il que celle-ci s'applique au film ? Ça semble plutôt bien coller, et encore une fois ça viendrait justifier ces changements avec sa réelle histoire personnelle. À propos de Ford, David Lynch est impérial dans son interprétation. Spielberg a de nombreuses fois raconté l'anecdote de sa rencontre avec lui, la scène semble être on ne peut plus vraisemblable. Au-delà du souci de réalisme elle brille également par son rythme, sa mise en scène, son humour… sa perfection.


J'ai commencé en évoquant le premier plan du film, particulièrement réussi et symbolique du film. Autant terminer cette modeste critique par le dernier plan, qui n'est pas moins réussi et qui est à bien des niveaux encore plus symbolique. Je trouve qu'il y a dans ce simple mouvement de caméra le génie de la simplicité et de l'évidence avec un nombre incroyable de niveaux de lecture. C'est pour commencer quelque chose d'assez drôle, qui fonctionne si j'en crois les réactions dans la salle. Au-delà du clin d'œil à la scène précédente il nous rappelle qui est derrière la caméra, comme pour justifier sa démarche. Avec un geste sincère, complice, à aucun moment prétentieux ou superflu. À 77 ans Spielberg nous explique qu'il n'a pas cessé d'être ce jeune passionné cherchant à égaler ses modèles. D'abord Cecil B. DeMille lorsqu'il essayait de reproduire le crash du train à l'âge de six ans. Ici John Ford à qui il avait déjà rendu hommage dans E.T. Hitchcok dans Jaws. Robert Wise en remakant West Side Story quelques années auparavant. La liste est sans doute longue. Cette humilité de la part d'un des plus grands cinéastes de l'Histoire du cinéma est à la fois touchante et réconfortante. Ce plan clôt parfaitement le film mais il pourrait très bien faire la même chose avec la filmographie de Spielberg.


The Fabelmans est un film riche aux thématiques variées avec lequel Steven Spielberg se livre sans faire preuve d’égoïsme ou de narcissisme. Car c’est avant tout un bon film, à la narration maitrisée et à la mise en scène virtuose. Qui n’oublie pas d’être drôle et divertissant pour mieux toucher le spectateur quand il faut être mélodramatique. L’exercice est assez périlleux pour applaudir chaudement la réussite. Le film est si dense derrière une apparente simplicité que je n’ai même pas évoqué certaines des meilleures scènes comme le camping en forêt, l’arrivée d’oncle Boris, ou la prière à Jésus.

ecnal
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le 26 févr. 2023

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