The Big Short est l’exemple même de la parodie réussie. Son geste artistique consiste bel et bien à investir un milieu en épousant ses tics de fonctionnements, son jargon incompréhensible et ses débats épuisants, pour déconstruire ce milieu et en révéler toute l’artificialité. Dit autrement, le choix de la fiction démasque le potentiel fictionnel et fictif de cette « cour des grands », raccorde les êtres encostumés à ce qu’ils sont profondément, à savoir des acteurs déguisés pour l’occasion et qui jouent à un jeu dont ils définissent les règles.


Le long métrage aborde le monde de la finance par le biais de l’hétéroclite, éclatant son point de vue ou plutôt le partageant avec différents personnages qui, chacun à leur manière, portent un regard critique et désabusé sur leur activité ; aussi Adam McKay exploite-t-il l’ironie et le cynisme de ses personnages pour en contaminer son œuvre, lui donner son ton d’ensemble avec de nombreuses trouvailles de mise en scène, un montage incisif et un rythme alerte qui retranscrivent fort bien l’effervescence générale ainsi que la catastrophe à venir.


Mais surtout, le geste parodique de The Big Short n’est pas gratuit, se subordonne à un geste critique à l’encontre du système américain qui voit ses fondations attaquées et ébranlées jusqu’à la clausule qui fait cohabiter – pour mieux attester le triomphe de l’une sur l’autre – deux issues possibles, en réalité l’une relevant de l’utopie avec son happy end illusoire, l’autre présentant un visage aussi terne et malade que le monde croqué ici. Les acteurs, dirigés avec minutie, excellent dans des rôles ambigus, à la fois banaux, héroïques et immoraux, à l’image du fonctionnement de cette grosse machine à dollars à laquelle nous ne comprenons pas grand-chose, sinon qu’on peut faire de l’or à partir de la boue. Voilà l’alchimie concrétisée.


En fin de compte, le film d’Adam McKay compose un poème, un long poème sur l’inertie et le malheur contemporains qui, en cultivant la polyphonie, en ciselant dans une forme les actions et les pensées de ses protagonistes, creuse le vers pour atteindre la réalité dans sa nullité fondamentale. « La plupart des gens détestent la poésie ». C’est normal : elle exige une attention permanente, un effort de la part d’un lecteur qui, à mesure qu’il s’y engouffre, ressent sa musicalité interne – ici en pourcentages, en sigles, en nombre d’actions – prend conscience du néant.

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le 14 juil. 2020

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