Henri, la crise financière de 2008, ça l'a déglingué. Au point de voter Front de Gauche (alors que c'était un Sarkozyste fervent) et de clôturer son Codévi auprès de la Société Générale qu'il vénérait pourtant avec ardeur. "Parce qu'il y en a assez que leurs profits soient notre misère", me disait-il encore récemment. Ca l'a tellement retourné qu'il a même décidé d'en faire une chanson sur fond de guitare sèche, pour initier les touts petits à l'économie, du genre :


♫ "Tu ne vivras pas de l'argent que t'as volé,
en misant en bourse sur la crise mondialisée.
Si d'aventure tu l'fais, gros vilain tu seras damné !
C'est pas bien ! C'est pas bien ! ♫
"


Et autres couplets tout aussi inspirés.


J'aurais dû me méfier quand il m'a parlé de ce Casse du Siècle, les yeux remplis d'étoiles comme si le visage de la Sainte Vierge s'était dessiné sur sa biscotte bio Gerblé. Mais bon, pour une fois, je voulais lui faire plaisir, à Henri.


Ca partait pourtant pas mal, en étant assez agréable à suivre dans la mise en place et la peinture des différents personnages, anticonformistes, originaux ou simplement surdoués. Mais au bout d'un moment, l'afflux de sabir purement financier devient presque illisible, même si Adam McKay, le réalisateur de ce Big Short, essaie de faire passer la pilule avec des explications et des vulgarisations cools, assorties d'intervenants qui sont à l'économie ce que le pape François est à la politique d'entreprise de Durex. Puis, il y a cette voix off constante qui finit par énerver et traduire la paresse de l'écriture, alors que le film s'étale déjà sur deux heures un quart.


S'il n'y avait que cela... Car Adam McKay, il veut paraître cool et à la mode, en faisant briser plus que de raison le quatrième mur à ses personnages cyniques en quête de la complicité avec le spectateur, dans une attitude décontract' totalement factice et trop consciente de son effet. Mais le pire, c'est le message et la thèse, peut être inconsciente, du film. Il enfonce d'abord des portes ouvertes, comme l'émission de Lucet qui plaît tant à Henri. Euh... Ah ! Cash Investigation. Là où la bande annonce te promet de la révélation de la muerte et que dans l'émission, bah, t'apprends rien. Car c'est loin d'être une révélation quand même, que les financiers c'est le mal et qu'il s'engraissent sur notre dos. A l'Ouest, rien de nouveau, comme dirait je-ne-sais-plus-qui. Mais le plus dommageable, au final, c'est que plus le film avance, plus il simplifie son message, en martelant que la banque, c'est caca beurk et, en deux lignes de dialogues, que les méchants, ils ont mis plein de gens à la rue et les ont acculés à la ruine . Si on a d'abord envie de se lever et de crier "Salauds !", il nous revient rapidement en tête que les héros du film, célébrés dans toute leur intelligence et leur flair, bein, c'est quand même des saletés de requins ou de cyniques qui ont deviné un an avant tout le monde qu'il y avait un formidable paquet de fric à se faire en misant sans remord, finalement, contre l'économie de leur pays... Drôle de méthode pour dénoncer.


Et puis, à la fin de Big Short, tout le monde se rappelle, justement, que ces montages financiers, bah, derrière, il y a des gens qui ont sont les victimes. Prétexte pour filer quelques inserts sur des panneaux de maisons à la vente à prix cassé, des tentes trouées comme dernier refuge ou des gens qui dorment dans leur voiture. Ainsi que de caser une ou deux lignes de dialogues pour s'acheter in extremis une bonne conscience (de gauche). C'est tout le handicap du film : condamner avec force ce que, finalement, il semble glorifier. Car ils n'auront pas perdu beaucoup au bout du compte (courant). Juste un peu de leur âme. Comme toutes ces pointures à la manoeuvre, acteurs/producteurs dont il n'est pas sûr qu'ils aient compris le matériau qu'il avaient dans les mains, même si parfois, en de rares occasions, on écarquille les yeux devant un système qui finit par se manger lui même tellement il a faim de profits et de montages sur des montages tout aussi précaires.


Le casting, lui, s'il est quatre étoiles et aligne les noms connus, il reste en sourdine et tourne en mode économie d'énergie, à part Steve Carell qui, depuis Foxcatcher, révèle une autre facette de son talent. Et l'autre point positif du film, c'est de réévaluer Le Loup de Wall Street. Lui, au moins, ne retournait pas sa veste en cours de route. Et puis merde, c'était Marty derrière la caméra, quand même ! Ce dont ce The Big Short : Le Casse du Siècle ne pourra, à l'évidence, jamais se targuer.


Behind_the_Mask, qui se lamente sur le solde débiteur de son compte courant.

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le 23 déc. 2015

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