En voyant arriver THE BIG SHORT, bien décidé à raconter les origines de la crise financière de la fin des années 2000, en mettant en avant les magouilles des banques et des traders, on repense forcément au récent Loup de Wall Street (2013) de Martin Scorsese et au plus ancien Wall Street (1987) d’Oliver Stone. Le premier adoptait une forme d’humour noir et une réalisation déjantée, le deuxième une approche plus sobre et réaliste. THE BIG SHORT est quant à lui un mélange réussi des deux. Car s’il se présente comme « inspiré d’une histoire vraie », avec des personnages réels, débutant même à la manière d'un documentaire par des images d'archives (façon Michael Moore ?), le film s’amuse aussi à varier les genres pour toucher au divertissement. Il n’en reste pas moins surprenant de voir le réalisateur Adam McKey, habitué aux comédies assez lourdes (Ricky Bobby : roi du circuit, Frangins malgré eux, Very Bad Cops), proposer une telle adaptation du best-seller de Michael Lewis The Big Short: Inside the Doomsday Machine publié en 2010.


Bien que titré « Le Casse du siècle » en français, il n’est pas question de film de braquage à proprement parler pour THE BIG SHORT. C’est avec un certain sérieux et une précision dans les faits, que le film nous ramène en 2005, à Wall Street, le quartier de la bourse à New York, et raconte comment plusieurs personnes évoluant dans la finance ont repéré l’accumulation de bulles immobilières et de crédits accordés par les banques. Ayant analysés le probable effondrement de la bourse, Michael Burry, Steve Eisman, Greg Lippmann, Ben Hockett et d’autres ont alors décidé de parier contre l’immobilier pour profiter de la crise financière à venir.
On retrouve dans THE BIG SHORT une réalisation et un montage très scorsesien - voix off, rupture du 4e mur, acteurs en roue libre... Cependant, ayant conscience de la comparaison inévitable avec le maître, Adam McKey l’assume entièrement et joue intelligemment de clins d’œil avec les films qui le précèdent. Ainsi il arrête littéralement le déroulé de son intrigue pour donner une explication des termes les plus complexes de la finance en mettant en scène l’ex-femme du Loup de Wall Street, Margot Robbie. L’actrice apparaissant antipathique et hautaine en jouant son propre rôle, dans un bain moussant, verre de champagne à la main. Une scène volontairement kitsch et de mauvais goût, qui rappelle les spots publicitaires présents dans le film de Scorsese. Un effet à double portée. D’une part pour créer un gag récurrent efficace - à plusieurs reprises une célébrité interviendra (un grand chef cuisinier, Selena Gomez) - et d’autre part pour nous aiguiller dans les rouages incompréhensibles de la finance. Matthew McConaughey le disait déjà en improvisant devant la caméra de Scorsese : « personne ne comprend rien à la bourse ». Subprimes, CDO (Obligation adossée à des actifs), CDO synthétiques, etc. Des termes incompréhensibles que seuls les traders maîtrisent pour qu’on les laisse faire. Le réalisateur a ainsi le mérite de rendre le tout plus accessible. On regrette tout de même, à l’inverse, une difficulté à suivre tous les enjeux pour les personnages. Ce qu’ils représentent, banque, fond monétaire… on finit par ne plus trop savoir quel argent est mis en jeu et les risques potentiels de chacun. Il faut donc accepter de se laisser porter sans trop y réfléchir.


Il faut dire que THE BIG SHORT ne choisit pas la facilité en multipliant les protagonistes et en faisant croiser les histoires de chacun. L’intérêt étant alors dans l’approche scénaristique de ces personnages - davantage que dans la réalisation d’ensemble qui ne révolutionne rien mais reste d'une efficacité redoutable. Et c’est là que le film se démarque de ses prédécesseurs. Pas question d’être du côté du trader sans scrupule, rapidement enrichi et au final rattrapé par la loi avec l’écroulement de son empire (Loup de Wall Street, Wall Street). Ici, nos « héros » n’ont rien d’extraordinaire. Ils ne cherchent pas spécialement un profit personnel, ce sont bien souvent des inadaptés sociaux. Christian Bale (Michael Burry) est excellent en autiste incapable d’interagir correctement avec les autres. Steve Carell se déchaîne en jouant l’imprévisible Mark Baum, désabusé de la vie et du monde de la finance. Brad Pitt (Ben Rickert) reste particulièrement sobre mais amuse en maniaque calme retiré du monde réel. Dans une certaine mesure, même Jared Vennett, qu’interprète le méconnaissable Ryan Gosling, par son excès d’antipathie, apparaît comme un personnage anormal. Une distribution remarquable qui porte aisément le film.


C’est donc bien parce qu’ils ne rentrent pas dans les cases de normalité, qu’ils ne suivent pas les règles à la lettre, que ces personnages seront les seuls à prendre conscience du changement inévitable de la bourse - à savoir les prêts à haut risques dans l’immobilier par les banques qui résultera de l’écroulement de ce marché financier. Tout du long, ces « loosers » se retrouvent face à de nouvelles difficultés. Le scénario prend une toute autre dimension lorsqu’ils prennent conscience que, de leur succès, dépend le sort de la finance mondiale. Leurs tentatives de prévenir le gouvernement ou les journaux restent malheureusement trop peu évoquées. THE BIG SHORT réussit au final, au-delà des rires provoqués par les situations diverses, à nous mettre face à un mal être et un certain dégoût de la réalité, les mêmes qui envahissent les protagonistes.


Critique par Pierre, pour Le Blog du Cinéma

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le 16 déc. 2015

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