J.J. Abrams n’a jamais caché sa filiation avec les grands maîtres du cinéma populaire des années 80, et son récent travail d’hommage sur Le réveil de la Force suffit à le manifester. Dans Super 8, il s’offrait les détours d’un univers plus singulier, sans franchise ni genre, et affirmait une sensibilité qui allait infuser de manière salvatrice un blockbuster parmi tant d’autres.


Super 8 marche clairement dans les pas de ses aînés, notamment par la bande de potes tout droit sortie des Goonies, à la différence de taille que le spectateur va pouvoir s’attacher à ces personnages. Récit sur l’enfance, le film restitue à merveille cet âge tumultueux où l’on brave l’autorité et l’on a accès, comme dans tout récit d’aventure, à un monde que les adultes s’obstinent à ne pas voir. Les types sont distribués avec efficacité, du gros au chef de bande, du timoré à la belle torturée, dans un cadre qui fleure bon l’Amérique profonde et ses coutumes imposées au monde entier via l’entertainment.


La mise en abyme, si elle n’est pas particulièrement fine, est touchante parce qu’au diapason de la sincérité des enfants qui manient la caméra : Abrams y affirme sans complexe son plaisir enfantin à jouer, à bricoler, à ménager l’émotion, et semble d’avantage se réjouir de leurs émois universels que des phénomènes paranormaux auxquels ils vont être confrontés.


Les concessions restent grandes au blockbuster, et à grands renfort de lens flare et de CGI encore assez mal gérée, le crash du train ou l’attaque du bus accusent certaines limites dans le bon goût. Tant qu’elle est occultée comme dans Alien, Cloverfield ou les débuts de Jurassic Park, la créature est convaincante ; on ne peut pas en dire autant des séquences finales qui appauvrissent l’émotion initiale par une surexposition de tout ce qui stimulait l’imaginaire.


Car tout se joue bien autour du thème du regard. Celui de la caméra, évidemment, qui tourne, mais qui garde aussi la mémoire, comme en atteste la projection des images de la mère défunte. Joe se lance dans ses émotions par le regard : sur Alice par la fenêtre de sa voiture ou dans son rétroviseur, vers la direction à prendre par le trou fait dans le mur, et face à la créature qui lui offrira un regard humain, celui de sa mère.
Cette émotion primale est sa quête :



“She used to look at me... this way, like really look... and I just
knew I was there... that I existed.”



De la même façon, Alice existe en tant que comédienne sous la camera de ses camarades, tandis que les adultes traumatisés, les pères coupables, ne cherchent qu’à se cacher.
Le parcours aventureux se double donc de quêtes émotionnelles : celle de l’émotion première du spectacle, faisant de la ville un terrain de jeu, de ses souterrains les cavernes horrifiques des cauchemars. Inféodé à l’enfance, le monde des adultes ne tourne plus rond, et l’armée voit ses engins réduits à l’état de jouets autonomes qui tirent dans tous les sens, les cloisons éventrées pour s’ouvrir tels des écrans sur une guerre qui ravit. L’autre quête est celle de l’amour, bien entendu : entre un père et son fils qui doivent apprendre à se connaitre, entre un jeune garçon et une fille lieu commun rendu particulièrement touchant par des comédiens d’une grande justesse, particulièrement la sublime Elle Fanning. Entre un enfant et sa mère, aussi, dans initiation au deuil.


Ce dernier point rejoint celui de la quête ultime, celle de la créature : comme dans E.T. ou Midnight Special, il s’agit du retour : la mélancolie est là même, cette appréhension de l’étranger (l’alien) mêlée à cet enthousiasme effrayé de la confrontation à plus vaste que soi : l’univers infini, l’horizon céleste de leur destination. Laisser partir la créature qui fascine, laisser partir la mère dans un geste simultané, ce pendentif qui rejoint le grand mouvement magnétique des objets et des élans émotionnels.


Sous le parrainage de Spielberg, à la production, JJ Abrams reprend bien le flambeau : donner à voir, certes, dans un ballet pyrotechnique et flamboyant, les mystères d’un autre monde. Mais la « plus-value sur la production » qui obsède les apprentis cinéastes est ici bien plus intense : c’est l’humanité des personnages et leurs émotions universelles.

Sergent_Pepper
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le 10 juin 2016

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