Élevé au rang de grande expérience cinéma, psychédélique et totalement libre dans son propos, mais aussi insulté pour son esthétique et son choix d’une narration totalement déstructurée, Spring Breakers aura nettement partagé au moment de sa sortie en salles, refaisant surgir le débat éternel autour de la violence et du sexe au cinéma. Ce malgré des choix de carrière contestables au fil de son parcours, ce nouveau Harmony Korine apparaît clairement comme la résurrection d’un cinéma indépendant sans limites, aussi subversif que brillamment exécuté. Résurrection pour son auteur qui s’était un peu perdu dans son introspection white trash d’une Amérique perdue dans ses illusions mais aussi l’un des plus beaux objets cinématographiques de cette année 2013, à mi-chemin entre l’exercice de style acide, cauchemardesque et la chronique d’un pays dont la grandeur et les excès l’ont mené à sa perte.

A l’inverse des derniers teen-movies sans âme qu’Hollywood pond à la pelle, Spring Breakers a fait des choix, des concessions dans son récit. Écraser un scénario propre, empli de péripéties insignifiantes pour conter une histoire – une vraie, une sorte de conte féminin où les barrières entre le réel et ce cauchemar permanent, magistralement mis en lumière par le belge Benoît Debie (qui avait déjà fait des merveilles sur les derniers Gaspar Noé), explosent pour révéler une sorte d’intemporalité derrière cette époque bâtarde. Une réelle modernité dans le propos, proposant un regard sans parti-pris sur ces fêtes de l’extrême, où le vice épouse la plastique des filles, mais aussi une nostalgie constante dans la manière de regarder ces jeunes s’effondrer sur le sable de Floride. Des ralentis, toujours, encore et encore, et un duel véritable entre cette explosion de couleurs outrancières et le regard aussi alarmant que terrible d’Harmony Korine. Il est déconcertant de voir un metteur en scène jongler avec tant d’aisance sur les flots du sarcasme (création d’une ironie dans le montage, montrer les images des fêtards sur fond de conversion avec la grand mère de Faith) et ensuite rempiler avec une succession d’images semblant tout droit sorties d’un clip de MTV. C’est cette ironie qui fait la réussite de Spring Breakers. Une grâce se dégage de l’improbable, à lier un récit dans l’autre et jusqu’à la séquence finale c’est la pesanteur et la peur de voir le tout sombrer dans un cynisme qui guettent le spectateur. Mais c’est bien heureusement que l’expérience reste entière et que le tout est d’une fluidité incroyable.

Entre deux moments de calme, Harmony Korine parvient à capter chez chacun de ses personnages une sorte d’essence, créer dans l’enfer du décor le cadre d’un voyage initiatique auquel le regard de ses filles désabusées trouve un écho flagrant sur toute une époque, en mal d’identité et de modèles à suivre.
Ce qui, aux premiers instants, semble être la simple envie de filles en proie à des sensations fortes, avides d’un désir instantané, devient un objectif de devenir. Les eaux s’assombrissent, les couleurs se cassent et l’arrivée de ce mystérieux Alien, interprété par un James Franco monumental, apporte une dimension des plus malsaines à cette traversée lyrique. Derrière le regard apaisé du gangster sommeille une guerre terrifiante, de pouvoir, d’argent et d’égo face à laquelle le rappeur ne semble pas des plus confiants. La prestation de Franco en est elle-même le reflet, d’où la parfaite confiance que le metteur en scène a su lier avec son casting en créant un jeu de miroir saisissant entre chacun des protagonistes. Ainsi, quand la promotion vendait le film comme une ode à la beuverie, Harmony Korine crée un univers d’épouvante à son film et ce dès la première séquence, en accentuant les couleurs, en écrasant le spectateur du poids de la musique de Skrillex. Parfois puissant comme jamais – et souvent dans les séquences auxquelles on s’attend le moins –, Spring Breakers n’en reste pas moins un film déstabilisant et tout simplement jouissif à suivre dès lors que l’on a compris la directive entreprise par l’auteur.
Dans cette cassure constante, des codes du genre, dans l’évolution des personnages (un mal pesant qui imprègne peu à peu les filles et qui prend la symbolique d’une prise de conscience), Harmony Korine invoque donc dans son pouvoir de moraliste que le pêché doit être touché, sinon vécu pour en comprendre son identité, qui nous sommes vraiment.
En outre, le manque de développement de certains personnages, cette frustration à voir partir un élément du récit peut aussi montrer le visage d’un pays à vivre derrière un masque, derrière des addictions et à croire en une forme de toute puissance. Ajoutant à cela à la moindre de ses séquences un sous-trait sexuel, Spring Breakers devient un produit à la portée aussi générationnelle dans sa manière à lier un propos lucide avec une mise en scène bigger than life. De par les transitions au bruit des chargeurs de pistolets, Harmony Korine a compris le cinéma dans lequel il vit et crée un objet à l’allure commune pour en réalité soutirer tout un modèle de cinéma oublié, créant chez chacune des répliques un écho constant avec les évènements à suivre et déstructurant au maximum sa narration pour apporter une vision quasi-métaphysique à ce pandémonium et une poésie improbable aux envolées de James Franco.

Au travers de ce long cauchemar nocturne, Harmony Korine donne une nouvelle dimension à son cinéma et a enfin laissé de côté ses tics d’artiste indé et provocateur. Bien que désacralisant les figures féminines actuelles de Disney, Spring Breakers se révèle être un tour de force esthétique. Plus qu’un exercice de style brillamment exécuté, l’œuvre du cinéaste américain intègre un rapport sensitif avec son spectateur de par la multitude d’effets qu’il injecte à son film assurant une forme de grâce dans la laideur de ce monde, une virtuosité en tant que metteur en scène et auteur. Un nouveau rapport avec ses personnages qui souligne dans ce Spring Breakers tout ce qu’il y a de meilleur à retenir. Reste néanmoins un manque d’épaisseur parfois flagrant chez les personnages qui empiète le film et évite, jusqu’à la dernière séquence, de lui donner une émotivité qui aurait pu être appréciable.

Avec ses défauts et surtout ses atouts, Spring Breakers se place cependant comme une réussite cinématographique évidente, une merveille de découpage et un travail d’orfèvre sur l’ambiance et la photographie. Mais il est aussi un pur produit de nostalgie, redonnant ses lettres de noblesse à tout un cinéma des années 70, à l’apogée du porno et émeut dans sa dernière séquence pour sa beauté sauvage, cette pesanteur liée à un certain esprit volage.
Brillant, simplement.
Adam_O_Sanchez
8
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le 11 août 2013

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Adam Sanchez

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