Œuvre malade, Southland Tales l’est à plus d’un titre. On pourrait s’acharner sur ses symptômes en y voyant l’un des grands ratages cinématographiques du début du millénaire, à l’image du megazeppelin qui l’occupe sur sa fin : une baudruche gigantesque s’effondrant sur elle-même. Et pourtant, de cette catastrophe surgit un souffle tout à fait singulier et attachant.


On peut sans peine imaginer ce qui a conduit Kelly à pareils excès : l’enthousiasme suscité par Donnie Darko, la certitude acquise d’être le nouveau génie de son temps ont sans doute laissé libre cours à une inspiration débordante et très mal canalisée. Il en résulte cette farce apocalyptique, recyclant les thèmes déjà vus auparavant (le voyage dans le temps, la fin du monde, jusqu’à l’œil crevé par une balle) et leur donnant une ampleur maladroite.


Presque rien ne fonctionne véritablement : la comédie satirique est plombée, le montage ne parvient pas à cacher les dizaines d’heures de rushes charcutées. D’apocalypse, il est effectivement question : c’est surtout celle d’un projet trop ambitieux qui cite la Bible et la télé-réalité, fait des incursions du côté d’Enki Bilal à la sauce Moby dans des visions futuristes pour le moins bordéliques.
Tout pourrait être évidemment pris au troisième degré. La longue exposition, particulièrement laborieuse, semble déjà assumer ses manquements : on sent bien le résumé d’épisodes qui n’ont pu être filmés, et, à coup de story board ou d’infographies low cost, une tentative d’explication révélant surtout au spectateur le continent qu’il a manqué.


A partir de là, deux options : fustiger les manques et s’irriter pendant deux heures et demie, ou tenter de déceler les intentions, et se laisser aller à la grâce de séquences isolées.
Le dilettantisme, voire la bouffonnade de certains passages aident à la décontraction : le jeu de The Rock, le contre-emploi assez savoureux de Sarah Michelle Gellar, l’esprit pop du clip interne de Justin Timberlake ou les saillies philosophiques des stars complètement à l’ouest sont autant d’indices sur le sérieux général de l’entreprise, qui pourrait trouver sa quintessence dans l’affirmation suivante (qui, au passage, semble aussi un écho amplifié de ce que disait Donnie Darko de Back to the Future) :



Scientists are saying the future is going to be far more futuristic
than they originally predicted.



Si le discours supposément parodique fonctionne souvent mal, c’est dans les détails que le film s’en sort : les noms propres, assez géniaux, la façon dont la majorité des enjeux tombe à plat semblent se mettre au diapason de la médiocrité ambiante : le scénario de deux décérébrés devient réalité, les infiltrations des groupes et agents doubles ou triples se multiplient au point de former un mille-feuille indigeste qui à lui seul justifie une tabula rasa généralisée.


C’est là le plaisir et la limite de la trajectoire : on nous l’annonce depuis le début, il s’agira de raconter la fin du monde, et celui-ci est suffisamment imbu et insupportable pour qu’on s’en réjouisse. Reste à déterminer sur quel pied danser. De danse, il est d’ailleurs beaucoup question, corps entrainés dans la mélodie des heures dernières, envol au-dessus d’une ville monde pour être aux premières loges du bouquet final : dans ce dilettantisme, Richard Kelly loge une émotion complexe, ambivalente, mais bien réelle. Gangréné par son énormité, décrédibilisé par toute son imagerie SF (le Fluid Karma, les écrans d’info, les visages grimés) et une CGI absolument atroce, la machine résiste tout de même.


Double fin du monde, donc : de l’univers construit, et de l’œuvre qui devait le donner à voir, et qui subira un échec cuisant, comme s’il prolongeait au-delà du fictif ses obsessions. Tout est récupéré, mal digéré, mais assumé :



Ladies and gentlemen, the party is over. Have a nice apocalypse.


Sergent_Pepper
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le 6 mars 2016

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