Après la parenthèse Babysitter qui adaptait une pièce préexistante, Monia Chokri semble renouer avec la comédie sentimentale en forme d’autoportrait qu’était La Femme de mon frère, son premier long métrage en 2019. Même regard inquiet sur la société contemporaine, même humour en forme de mécanisme de défense, même talent dans la direction des comédiens et l’énergie des interactions. Simple comme Sylvain atteste néanmoins d’un chemin parcouru et du désir de ne pas répéter stérilement une formule.

Cette romance ponctuée de leçons des philosophes sur la notion d’amour avoue d’emblée, avec une certaine tendresse, l’impuissance des penseurs – et donc des intellectuels, dont fait partie la protagoniste – à circonscrire une force irréductible au seul concept. L’amour que va rencontrer Sophia, en la personne d’un gaillard bien terre à terre, sera pulsionnel, régressif comme une cure de jouvence, et les questions se poseront plus tard. Cette fraîcheur d’un possible, même si illusoire, retour à l’adolescence nourrit une mise en scène qui va elle aussi entreprendre de remonter le temps. Monia Chokri s’amuse ainsi à pasticher le cinéma des années 70, à grands renforts de grandes focales et abus de zoom (et d’une bande originale idoine), convoquant autant Woody Allen pour son regard sur les érudits face à leurs névroses que le sens visuel d’un Robert Altman, et une image jaunie à gros grains qui renvoie à la nostalgie d’une période où la libération sexuelle semblait le gage d’un accès plus spontané au bonheur.

Passée l’euphorie des débuts, le film semble subir le contrecoup du couple qu’il accompagne, et ronronne un temps, par quelques facilités dans l’opposition entre les classes sociales et les désillusions de la protagoniste. L’humour assez tonitruant de l’exposition a pu être une fausse piste, la mélancolie devenant la tonalité majeure, pour une histoire d’amour qui délaisse l’ironie acerbe des films précédents au profit d’une sincérité plus affirmée. Monia Chokri avait, à Cannes, présenté son film avec un discours très fort sur la nécessité de créer dans la bienveillance, fustigeant le cliché selon lequel l’artiste pourrait être un génie à qui on excuserait de malmener son entourage : un principe qu’on retrouve dans l’évolution de ses personnages, où le cynisme de la jeunesse s’étiole, et certaines questions plus graves (l’éco anxiété, la parentalité, la dépendance des personnages âgées) viennent consteller un parcours qui ne peut rester totalement dilettante. Autant de signes qui viennent compléter l’humanité d’un film touchant et juste, et réjouissent quant aux prochains de la réalisatrice.

Sergent_Pepper
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le 16 nov. 2023

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Sergent_Pepper

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