Après avoir poursuivi son regard sur l’amitié masculine dans un pays en voie de civilisation dans First Cow, Kelly Reichardt renoue avec Michelle Williams pour la quatrième fois, pour s’intéresser cette fois au monde des artistes contemporains.


Il va de soi que de la part de cette cinéaste de l’intimité, le traitement d’un tel sujet sera aux antipodes des représentations romantiques du créateurs, génie maudit aux ailes de géants l’empêchant de marcher. Le clin d’œil du départ annonce la couleur, lorsque la voisine de la protagoniste fait un nœud coulant à une branche de son arbre pour installer un pneu qui lui servira de balançoire. Lizzie, sur le point d’exposer son travail, n’est ni une star, ni une marginale, mais une femme de son temps, composant avec son travail, ses relations complexes à sa famille et la légère concurrence avec son artiste de voisine, qui s’avère aussi être la propriétaire de sa maison où l’eau chaude se fait attendre.


Showing up se présente donc comme une nouvelle variation sur le mode mineur, où la cinéaste observe avec tendresse des personnages un peu gauches, souvent sincères dans leurs démarches, et qui, comme celle qui les observe, tentent de faire de la poésie un élément déterminant de leur existence. L’art irrigue en effet toutes les pratiques, ludique chez les étudiants de l’école, thérapeutique pour un frère instable creusant dans le jardin un gouffre qui devrait permettre à la terre de parler, conceptuel, ou réflexif…La modeste comédie humaine qui s’installe présente ainsi un monde gentiment dysfonctionnel, sur lequel semble planer l’humour intellectuel des premiers Woody Allen, et qui conduit vers une réunion des protagonistes qui va pouvoir, mais toujours dans la douceur cristalliser les crises, à l’image de cette formule de politesse qu’ajoute Lizzie à son message téléphonique après avoir laissé échapper sa colère.


C’est à travers la pratique artistique de Lizzie que le propos de Reichardt s’épanouit pleinement : plus proche de l’artisanat, elle questionne le rapport à la matière, à l’acte de façonner, la patience et le travail des mains, ainsi que l’investissement émotionnel de l’artiste dans son projet, autant d’éléments qui se traduisaient par la cuisine dans First Cow. Ainsi du « sorry » proféré spontanément à la figurine dont elle casse le bras, et de la tendresse qu’elle va rediriger vers ce pigeon blessé, qui demandera autant de soin que celui qu’elle accorde à ses créations. La mise en abyme ne s’embarrassera donc pas de symboles ou de prétention : la créatrice prend autant soin de son petit monde qu’elle tente d’interagir avec ceux qui peuvent aussi l’y blesser, de la même manière que la cinéaste poursuit ce sillon d’un cinéma ténu, juste et profondément authentique.

Sergent_Pepper
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le 4 mai 2023

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