Problématique du cinéphile moyen dans la société contemporaine devant un cas d'étude comparative

De toute évidence, la comparaison des oeuvres entre De Palma et Hawks s'impose aujourd'hui. Et puis... Le personnage du lumpen-proletariat, riche ou non, est toujours fascinant à découvrir dans un système économique qui génère ses propres crises sociales. Plus que le titre de la jacquette, il est nécessaire de remarquer que, hormis l'homonymie,

De Palma a reproduit son temps et Hawks le sien.
Je propose donc d'observer un match Montana vs Camonte.

Le film date de 1932, la réforme sur la prohibition d'alcool date de 1933 par Roosevelt - ce qui fait du film de Hawks un film d'actualité. De Palma aussi a fait un film d'actualité, oui mais avec 20 ans de retard ! Ce que De Palma n'a pas fait, c'est le contenu pertinent que Hawks avait fait à l'époque, avec la prohibition. Le dernier a fait de Scarface un homme adulé pour son machisme, sa cupidité et sa vulgarité tandis que Hawks a cadré son personnage de sorte qu'il ne dérive pas dans une espèce de fascisme nauséabond. Ce Camonte est arrogant avec l'autorité mais bienveillant avec les siens. Il sait faire la part des choses et voir dans ses intérêts. De Palma légitime un personnage qui fait dix fois plus de pognon avec dix fois plus d'individualisme.
Et pour pleins de jeunes, celui de De Palma est devenu un modèle ? Plus c'est facho et grotesque, plus c'est cool alors ?!

...

J'ai l'air - et pas que l'air - de faire mon petit curé avec mes bonnes manières, il n'empêche que l'évolution entre les deux Tony est intéressante dans la dégénérescence du rapport à l'autorité au cinéma. Si en réalité rien a changé du XIXème au XXIème siècle, aujourd'hui la corruption policière et de tout instrument d'Etat est une chose banale, qui se montre à loisir. On retrouve et on recrute les mêmes fripouilles dans la classe dominante que dans le lumpen-prolétariat. Il n'est donc pas étonnant que la moralité d'un film sur l'autre se perde : le premier Tony a peur de la police à la fin ; le deuxième Tony a toujours été arrogant du début à la fin (avec ses amis, sa famille, la police, les femmes... Le seul mec devant lequel Montana se couche, c'est le... banquier ! Comme si le banquier était la nouvelle morale édictée de nos jours).
Un autre point fondamental me "gêne" dans les deux Scarface : l'immigré venu foutre la merde est une invention ou un raccourci dans le pire des cas. Cela en fait un héros réactionnaire filmé par un réactionnaire capitaliste (Hawks est l'auteur des Hommes préfèrent les blondes et de la Rivière Rouge).

Le monde à plat ventre devant l'argent, l'immigré-voyou arrogant venu piller les richesses des honnêtes gens... Tout cela n'est que du cinéma, n'est-ce pas !

Mis à part ce très très léger détail,
Le Scarface le plus récent passe pour une piètre reprise, excepté la fin de Tony car Hawks a manqué de rigueur et de rythme... (De Palma aurait du faire exploser le gosse dans la bagnole et trouver un autre prétexte bien dégueulasse à la chute de Montana). Et puis comme je le disais, on imagine mal aujourd'hui qu'un truand ne résiste pas un tantinet face à la police au cinéma. Finis les "Hauts les mains" !
Non franchement, ce film-là ne fait pas son âge, le jeu demeure bon. Il y a encore tout lieu de le voir aujourd'hui, pour moi qui suis très difficile avec les films en noir et blanc et les jeux d'antan.

D'ailleurs c'est ce film qui m'a fait dire que s'il était possible de faire aussi moderne, d'autres films n'avaient pas la moindre excuse d'être aussi cliché et mal montés alors qu'ils étaient parfois tournés quinze, vingt ans plus tard.

***

AJOUT BONUS

Le succès populaire autour de personnage valait bien de gratter ce qui se cache derrière ce grossier personnage car sous l'auguste demeure la tragédie.

Les intentions de domination de Scarface sont multiples mais son envie d'être à la tête d'un empire, d'être reconnu, que les autres sachent qui il est partout où il passe en roulant des mécaniques sont conséquentes à une psychologie du personnage : celui qui prend une revanche sur le monde, un frustré qui veut changer le monde à l'image de son dégoût. Il n'est pas mauvais en soi... Dans le premier, il est le le fruit politique en réaction à la politique américaine elle-même dans le premier. Dans le second, il est le fruit de la politique cubaine puis de la politique américaine. Dans les deux cas, c'est le plus pur produit du système, paradoxalement libertaire et réactionnaire, un pamphlet grotesque - grotesque dans un sens digne, non forcément péjoratif.

Ce sont deux frustrés : l'un de la prohibition ; l'autre, de la castratio... du castrisme. Deux mégalomacho qui n'ont pas leur place dans le système car ils contraignent paradoxalement la liberté individuelle... Ils n'ont pas leur place en société sinon en psychiatrie... Si le Scarface de Palma est clairement une attaque idéologique contre le castrisme, le réalisateur n'est pas tendre non plus avec les USA puisqu'une fois immigré, Scarface est porté au sommet (enfin, un peu en-dessous des banquiers).

Et... j'observe en réalité certains énergumènes sont portés aux nues par leurs conduites révoltantes et leur cynisme qu'ils nomment réussite. Scarface est pour eux un dieu et eux ne sont pas forcément rappeur, bien au contraire. Scarface a su être très légal, respectable et non-violent pendant un temps...
Andy-Capet
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Créée

le 3 nov. 2012

Modifiée

le 8 janv. 2014

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