On sait que ce film est librement inspiré de la vie d'Al Capone à Chicago à la fin des années 20, au temps de la Prohibition ; en effet, Howard Hawks et son scénariste Ben Hecht ont utilisé plusieurs éléments biographiques de celui qui était alors aussi célèbre que les plus fameuses stars d'Hollywood et qui est nommé ici Tony Camonte. Mais Hawks a tenu à échapper à ce romantisme équivoque tout en créant autour de Camonte-Capone un climat qu'on ne lui connaissait pas, tel cet amour quasi incestueux avec sa soeur Cesca dont Hawks avouera s'être inspiré des Borgia (la relation entre César Borgia et sa soeur Lucrèce), mais cet aspect ne fut pas compris, et le film eut des ennuis avec la censure, en plus de la violence inhabituelle et de la cruauté jamais vues sur un écran.
En 1932, Scarface n'est pas le premier film dressant le portrait d'un gangster, il y avait eu les Nuits de Chicago en 1927, puis le Petit César en 1930 ; mais ceux-ci étaient encore des brutes mal dégrossies, alors que Hawks montrait à travers Paul Muni alors inconnu, un gangster charmeur, un véritable héros de tragédie grecque avec une singulière couleur psychologique, qui même s'il ne ressemble pas du tout à Capone ni physiquement, ni psychologiquement (Capone étant considéré comme une brute ignare et bestiale) devient une vedette grâce à ce rôle qui pèsera d'ailleurs sur sa carrière, mais il n'en sera que plus crédible et plus attachant. Grisé par le goût de la domination et un caractère vénéneux, il éprouve pour sa soeur une tendresse abusive qui le conduira à sa perte.
Toute cette amoralité, ce héros trop cynique et ces aspects scabreux ainsi que sa violence jugée excessive, ont provoqué le scandale à sa sortie aux Etats-Unis, où la guerre des gangs et le massacre de la Saint-Valentin étaient encore trop frais dans les esprits pour qu'on puisse accepter une transposition cinématographique dont le romantique héros échappait à la justice en choisissant lui-même sa mort. La censure y vit une dangereuse apologie du crime et exigea des coupes, le film fut bloqué plusieurs mois, on exigea même une fin différente, il fallut la campagne de presse de Howard Hughes invoquant le fait que le film était un document indispensable à la lutte contre la pègre, pour que la censure relâche son étreinte. La projection en version intégrale sera au final un triomphe.
On a su reconnaître le talent de Hawks qui livrait (malgré les 2 films que j'ai cités, sortis avant) le prototype du film noir et du film de gangster, c'est un film précurseur qui influencera le polar en général, une reconstitution exemplaire de la chronique criminelle des années 20, marquée par la Prohibition et les retombées économiques de son époque, avec des audaces scénaristiques, une virtuosité de la mise en scène, un dynamisme du montage, un récit construit en crescendo très linéaire, un noir & blanc crépusculaire, la puissance de jeu de Muni, et des scènes marquantes qui font partie de la légende (la pièce de monnaie que lance George Raft dans sa main, comme pour jouer à pile ou face la vie des autres, la mort de Boris Karloff dans le halo d'un projecteur, les salves de mitraillette Thompson "à chargeurs camembert", la scène finale), tout ceci sera imité dans nombre de films, y compris par De Palma qui en signera un remake en 1983 en gardant le canevas mais en changeant pas mal de détails, bref ce film est un classique qui appartient à l'histoire du cinéma.

Ugly

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