En 2017, Ruben Östlund gagne la Palme d’or pour The Square, une critique sociale sur le monde de l’art. En 2022, il retourne à Cannes, après sa satire acclamée avec… une nouvelle satire sur l’impact de l’argent dans notre société contemporaine, pour laquelle il remporte une deuxième Palme d’or. Quelle aubaine ! Que pourrait-il mal se passer ? Sans filtre (Triangle of sadness, en VO) nous présente, d’entrée de jeu, le couple Carl et Yaya (les deux révélations Chris Dickinson et feue Charlbi Dean). Par ces deux figures de mode, formatées comme objets de désir corporel et pécuniaire dès le prologue, le film introduit efficacement les thèmes qui animent l'entièreté du récit : l’horreur des faux-semblants et la fausse quête d’équité sociale qui régit le monde occidental. Leurs premiers échanges tournent autour du fait que la femme se fait plus d’argent que l’homme, en tant que mannequin, et le laisse payer le restaurant puisque c’est un homme. Ainsi, le film s’aventure aussi sur la satire anti-patriarcale en jouant avec la dualité du personnage de Carl tourmenté par sa frustration viriliste de gagner moins d’argent que le sexe opposé et que sa moitié soit complice de ce schéma patriarcal.

C’est en ayant posé toutes ces problématiques que le premier acte, sobrement intitulé “Carl & Yaya”, s’achève pour laisser place au “Yacht”. C’est ici que Östlund va dévoiler son nouveau théâtre de l’absurde au sein de cette croisière où une dichotomie naturelle se crée entre les maîtres bêtes et méchants (les riches) et les servants soumis et avilis (les serveurs et autres commis). Et le combustible qui va faire fonctionner cette grande machinerie de l’absurde est bien sûr l’argent et la volonté de ceux qui en ont beaucoup. De nombreuses séquences vont donc se succéder, rappelant constamment au spectateur le propos du film, à savoir les faux-semblants et l’hypocrisie bourgeoise : la mallette scellée amenée par hélicoptère qui contient deux pots de Nutella, les employés qui sautent de joie à l’idée d’un pourboire, Carl qui s’étonne que Yaya parle à un membre du personnel, ou encore, tout l’équipage forcé d’aller se baigner sous l’impulsion personnelle d’une oligarque russe. En cela réside le plus grand défaut du film, dès lors, le récit consiste simplement en une succession de scènes supposément comiques où le pire de chacun se dévoile au grand jour, sans que personne ne s’alarme d’aucune des situations. Östlund prend alors un malin plaisir à torturer ses personnages, à les porter en ridicule, sans que le film ne dise autre chose que : “l’argent rend les gens capricieux comme des enfants”.


Le pic de cet enchaînement sans saveurs de séquences pince-sans-rire est celle de la tempête qui rend les passagers malades et se mettent, un à un, à vomir. Si le film se veut alors choquant et scandaleux, il ne fait que littéralement régurgiter des grossièretés pseudo-subversives, en prétendant appartenir à un soi-disant cinéma “coup-de-poing”. Malgré la volonté d’instaurer une sorte de matriarcat, lors du troisième acte, où les rôles institutionnels et corporels sont inversés, ce qui pourrait répondre au questionnement viriliste de l’introduction et à l’ordre social établi, le film ne va jamais au bout de sa pensée, et ne fait que rappeler constamment son propos limpide au spectateur. Il se complaît dans la vulgarité de ton et dans la caricature de ses propres personnages. Sans filtre n’est jamais drôle, jamais percutant, jamais mémorable.


E-Commaux
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le 18 oct. 2022

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Etienne Commaux

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