Je comprends maintenant, après avoir découvert ce film, pourquoi sans filtre a obtenu la Palme d'Or. C'est tout simplement le talent d'un réalisateur suédois, Ruben Östlund, qui réussit la performance d'un humour, dans ces instincts les plus bas, pour une critique de cette Elite, tristement comique, ses privilèges, et son hypocrisie. Ce regard toujours intéressant et surprenant, d'idées qui elles ne sont jamais superficielles, une certaine exagération, qui permet de décrire à merveille, un Monde qui refuse de souffrir, qui leur appartient, où ils aiment se regarder dans le miroir, quand tous doit être parfait et lisse. Cette image du pouvoir qui brille plus par son argent, que par ces déclarations bruyantes, mais creuses du monde moderne.

Ce monde qui crée une fabrique de résidents permanents, parfois cyniques et impitoyables, partout sur la planète, une classe à part, qui ne voyage que dans le raffinement du luxe et de l'excès, qui se fout des lois de l'univers, lorsque tous s'achète et se vend. Qui regarde la terre, comme un derniers refuge d'une espèce qui doit survivre et respirer, pendant que le reste de l'humanité suffoque. C'est une empreinte qui dépouille et qui détruit, tous l'art et le plaisir de marcher sur des herbes d'émeraude, la chance d'utiliser un ascenseur dans un paradis perdu, et d'exhiber tous ces corps, dans un espace des plus futiles. Ces entreprises de la mode, dès la scène d'ouverture, avec ces riches admirateurs de Balenciaga sophistiqués, et ces pauvres mangeurs de t-shirts basiques H&M, deux marques, deux inégalités, comme un sujet de moquerie des plus reconnaissables. Peut-être aussi un signe de notre temps, ce désir que nous alimentons chaque jour, cette machine qui touche chacun(ne) d'entre nous, et ce péché continue de consommation.

Et puis arrive cette thérapie de groupe, pour gens fortunés, afin que la croisière s'amuse, sur un magnifique yacht, un soleil qui colore et qui rayonne d'une lumière, qui jamais ne les aveugle de leurs bêtises. La structure d'un bateau qui reflète parfaitement le tissu de chacune des couches sociales. Sur le pont supérieur, un charmant personnel au service de petit caprices bourgeois, d'envies bizarres, contre gros pourboire, et plus bas, ces ouvriers qu'il ne faut surtout pas voir, au risque de dévisager ce beau paysage d'un ego mal placé. Les limites d'un complexes qu'il faut très vite dénoncer, Carl ( Harris Dickinson ) un homme un peu trash, et sa jolie copine mannequin, yaya ( Charlbi Dean ) deux influenceurs, qui aiment se lancer dans de grandes réflexions profondes, énormes, pour n'en sortir que des lieux communs, sans intérêts. Et au milieu de tout ça, ce Capitaine ( Woody Harrelson ) excellent acteur, jouant le rôle d'un alcoolique, Marxiste, Léniniste, qui méprise ses hôtes, et qui propose de servir du caviar, boire du champagne, afin d'oublier cet avertissement de tempête, préférant s'embarquer dans un dialogue des plus hilarants, un délire furieux, entre ce Russe capitaliste, qui s'est enrichi en vendant de la merde. Une situation qui semble incontrôlable, les mésaventures d'une troupe d'imbéciles avec beaucoup d'argent, qui vont devoir composer avec les paradoxes du monde, qu'ils ont construit, leurs excès et leurs corruptions.
Un bateau qui tangue, dans un désir plutôt jubilatoire du réalisateur, d'agacer, de grossir le trait, par un non-sens loufoque, comme une envie de montrer l'abolition des privilèges, quand ce Chanel n°5 au parfum de caca, ne s'arrête plus de nous faire rire, de déborder, ce flux des mers qui crache et qui se vide, une croisière qui s'enfonce, c'est le bordel.

Enfin nous retrouvons nos naufragés, échoués sur une île déserte, la Nature d'un pouvoir qui s'inverse, se paysage vierge qui ne s'achete pas. Ces pauvres riches qui ne deviennent plus qu''un peu de chair, et de souffrance qui saignent, des âmes perdues qui ne savent pas lutter, chasser, sans aucune volonté, inutile a rien, à la merci du premier Capitaine autoproclamé, au nom de Madame pipi ( Dolly De Leon ) remarquable. Quelle ironie du sort, trop comique, cette étrange situation qui les emprisonne dans une autre réalité, celle de l'être humain à l'état sauvage, quand il doit reconstruire une société, et qu'il devient cet autre tyran dictateur, de ces grands enfants gâtés, un peu idiot, prêt à tous pour retrouver ce sentiment de confort, ce cadre de vie tant rêver.
C'est alors une hiérarchie qui s'en trouve bouleversée, pour le bonheur de ce nouveau Capitaine, emporté par le désir du pouvoir, tel une araignée du soir, qui tisse sa toile, et qui attire sa proie, chaque matin devenu reine. D'où le sens de ce film, une expression du monde tel qu'il serait à l'état naturel et pulsionnel. Bien sûr la morale peut paraître un peu maladroite, quand elle tente de montrer que tous les êtres humains se valent, qu''importe leur classe sociale, et que la recherche de domination et le bien-être, restent essentiels à la motivation de l'individu.
Cependant sans filtre est un film qui interroge par le prisme du ridicule, nous parle de chose sérieuse, sans toujours l'être, ça surprend, c'est intelligent, quand il s'agit de rire ou d'abstraction, dans ce qu''il y a de plus profond et d'absurde touchant à l'existence.

Rolex53
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le 17 oct. 2022

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John Rolex

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