La nature humaine, surtout vue à travers ses bassesses et sa médiocrité, est le sujet préféré de Ruben Ôstlund qui n'hésite pas à pousser le curseur à son maximum dans Sans filtre (traduction oiseuse de Triangle of Sadness) dans lequel le capitalisme prend cher, à travers quelques uns de ses représentants fortement malmenés. Au début, avec ce couple de mannequins/influenceurs qui discutent ad nauseam d'une addition de restaurant, difficile de dire vers quels rivages se dirige le film mais attention, la suite va être délirante et spectaculaire, le cinéaste s'autorisant tous les excès pour mener à bien son entreprise de démolition qui complète et dépasse Snow Therapy et The Square qui paraissent finalement bien sages face à ce brûlot. Au passage, cette nouvelle Palme d'Or ne fera sûrement pas l'unanimité, tellement Östlund se permet toutes les provocations dans cette fable où il tire principalement sur les plus riches de ce monde, ce qui n'est pas précisément un acte de courage. Mais il y a une telle jubilation dans ce jeu de massacre par ailleurs écrit à la perfection, avec quelques ellipses à la clé, qu'il y aurait mauvaise grâce à faire la fine bouche devant un spectacle où la débâcle humaine et le retour à une certaine sauvagerie primitive sont susceptibles de déclencher un début d'hilarité, à moins que le rire ne reste coincé dans la gorge. La lutte des classes prend dans Sans filtre une forme grotesque qui devient grandiose dans certaines scènes apocalyptiques (sur le yacht) qui confinent presque au génie (mais que tout le monde n'appréciera pas à sa juste démesure). C'est à se demander jusqu'où le cinéaste suédois ira trop loin dans son prochain opus, encouragé dans ses outrances maintenant que le voilà doublement palmé. Reste une interrogation : comment a-t-il pu rater à ce point son dénouement de Sans filtre, seule fausse note dans une symphonie chaotiquement magistrale ?

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le 28 mai 2022

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