Sous l’égide de Salo ou les 120 journées de Sodome, Pasolini, crée l’un des plus grands témoignages que l'on ait pu exprimer sur la domination de l'être humain, et de son emprise sur l’identité d’autrui par le biais du pouvoir, que les Hommes s’attribuent par le armes ou l’affabulation divine. Retranscrit par l’explicite du dégoût, terrible et mortifère, agressif et malheureux, Salo n’en reste pas moins une œuvre de théorisation, à l’intelligence fortuite, engagée, par sa capacité à se servir de son art pour décrier une idéologie mais aussi et surtout, fascinante, par la réflexion qu’il questionne sur le cinéma et ses propres limites de sa représentation fictionnelle. S’appropriant l’œuvre de Sade, mais avec sa propre temporalité, Pasolini nous immerge dans une province Italienne, Salo, soumise au régime fasciste.


Quatre notables, riches, symbolisant la hiérarchie d’une élite corrompue, vont alors capturer 9 garçons et 9 filles pour les « emprisonner » dans un Palais et leur faire subir leurs pires fantasmes, se construisant autour de différents chapitres (cercles, de l’Enfer). Avec son style plus ou moins baroque, et l’exubérance parfois grossière du jeu d’acteurs qui nourrit parfaitement la mise en abime grotesque de la fantasmagorie bourgeoise, Pasolini prépare son dispositif pessimiste sur la nature humaine. L'homme, affranchi de règles, voit alors ses limites se désagréger pour se complaindre dans l’impunité, se cachant derrière une culture opportuniste, dans une anarchie de fantasmes destructeurs les plus ragoutants ; qui les conduisent à se faire uriner sur le visage ou manger de la merde avec la cuillère.


La monstruosité étant si outrancière, le métrage de Pasolini est à la frontière de la parodie où il est difficile de savoir s’il faut rire de la bêtise des récits racontés par de vieilles mégères ou être repoussé par l’horreur de la situation où aucun échappatoire n’est possible dans l’imagination sans limite de cette décrépitude. Comme durant ce banquet où l’une des jeunes femmes se fait violer pendant que l’un des seigneurs, rigolard et haut perché, se met alors à montrer son anus à toute l’assemblée, pour lui-même se faire sodomiser par la suite. Par cet effet, Salo est ce genre de création qui nous pousse à réfléchir sur la place de notre sensibilité quant aux images véhiculées : peut-on admirer sans aimer ?


Du haut d’une fenêtre et à l’aide de jumelles observant la misère de la frustration, il y a celui qui ordonne et celui qui subit, mais derrière cette dualité des rangs, et cette opposition des libertés, Pasolini filme l’absence du désir d’une bourgeoisie frustrée et qui ne sait plus quoi inventer pour ressentir et humer les affres du plaisir. On pourra noter au fil des minutes, l’anonymat des chairs, l’absence presque moribonde et brutale de jouissance. D’ailleurs, malgré la nudité des corps, la confusion des positions, Salo n’insère aucune érotisation dans son procédé. Le plaisir ne côtoyant plus aucune limite de son extrémité. L’Homme, soumis à ses propres directions, au-dessus des lois, ne sait plus quoi faire pour se savoir vivant, exprimer un désir disparu dans le sillage de la liberté, et donne libre cours à sa propre nature. Mais qu’est l’Homme alors ?


Un puit sans fond d’excentricité et d’égoïsme, qui voit alors la beauté de donner la mort, même à sa propre mère. Derrière sa vocation politique, La république de Salo ne semble être un qu’un postulat de départ, voyant le film se refermer sur lui-même, à la notion de temporalité inexistante et s’imprégnant d’une abstraction des corps et des esprits. Seule une chose compte : le pouvoir qui induit la propriété de l’esprit et au consumérisme du corps. Une appartenance du genre humain inqualifiable. Même si à notre époque, Salo s’avère parfois visuellement timide quant à la brutalité gore de certains films contemporains, l’œuvre de Pasolini va plus loin que cela, à l’image d’un Cannibal Holocaust où la frontalité de la forme se met au service d’un fond à la terreur infinie.

Velvetman
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le 2 avr. 2015

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