Étonnant parcours que celui de Refn : remonter aux sources de sa filmographie ne laisse pas supposer les dérives esthétisantes qui font la patte de ses dernières œuvres ; c’est même le contraire qui caractérise la trilogie Pusher, dont ce premier volet se veut une petite claque bien rêche dans le monde si éprouvé du film de gangsters.


Pusher, c’est l’immersion dans le quotidien sans fard de petits pions d’un système, celui du trafic de stupéfiant. Nulle dimension internationale ou hagiographie du gangster ici : la principale ambition du récit semble plutôt de mettre à plat les mécanismes de la nécessité, et la façon dont chaque maillon de la chaîne se trouve à la fois acteur du processus et rendu prisonnier par lui. Frank, dealer minable, se situe en son bout, poids mort qui se retrouve avec une dette impossible à rembourser suite à la perte d’un lot important face à la police.


La première partie le voit dans un quotidien en tout point méprisable (petites combines, conversations ineptes et vulgaires avec un coéquipier, rôle aussi minable qu’incandescent porté par Mads Mikkelsen) qui lorgne du côté de Clerks ou des échanges de Reservoir Dogs, la pose en moins : il ne s’agit pas ici de faire rire, de cynisme ou d’ironie, mais d’une confrontation brutale à un milieu par lequel et dans lequel on va crever, tout simplement. La seconde partie s’organise ainsi comme une course contre la montre de plus en plus désespérée, dont la circulation de la dette illustre le désespoir croissant : tout le monde se doit de l’argent, tout le monde recours aux mensonges et aux esquives, et dans ce vaste marché de dupe, on espère une seule chose, voir un autre s’effondrer à sa place.


Son direct, lumière au néon, caméra à l’épaule : l’illusion documentaire, accentuée par une interprétation saisissante donnant souvent l’impression d’être improvisée, génère un double effet particulièrement efficace : la captation sur le vif d’une violence quotidienne, et la laideur des bas-fonds généralement occultés.


Les illusions coutumières sont égrenées pour mieux confirmer l’absence de tout espoir : une mère ruinée, une petite amie étrange, vaguement associée dans le business, vaguement prostituée, face à laquelle on ne sait plus trop quoi exiger ou reprocher, un binôme qu’on fracasse dans un bouge, une utopie en Espagne : l’avortement de chaque piste voit se répandre une noirceur de laquelle il sera impossible de sortir.


Dans cette fange urbaine, la vie est un sursis, et c’est bien de cette urgence que sourd progressivement une humanité pourtant malmenée : Frank, dans sa course pathétique, dans ses arrangements minables, devient le porte-parole mutique de l’individu broyé par la misère et les mauvais choix qu’elle engendre.


Le final suspendu ne dit pas autre chose : le cauchemar ne va pas nécessairement s’achever en sacrifiant aux lois du romanesque : le faire perdurer dans ces minables esquives du réel sert beaucoup plus la démonstration sans compromis de ce qu’est l’enfer sur terre.


(6.5/10)


http://www.senscritique.com/liste/Integrale_Refn/1340831

Sergent_Pepper
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Social, Gangster, Famille, La drogue, c'est mal. et Les meilleurs films de mafieux

Créée

le 30 mai 2016

Critique lue 1.9K fois

77 j'aime

7 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 1.9K fois

77
7

D'autres avis sur Pusher

Pusher
Kobayashhi
7

Critique de Pusher par Ludovic Stoecklin

C'est l'été, il fait très chaud et le meilleur moyen de se rafraichir, hormis le ventilateur ou un bon atomiseur, ne serait-il pas de plonger dans un film tout droit sorti du Danemark. (Cette...

le 29 juil. 2013

53 j'aime

1

Pusher
Deleuze
7

Sale semaine

Disons le tout de suite, on aura jamais vu des hommes se déchaîner à ce point pour un sachet de lactose que devant Pusher. Il est bien connu que les dealers, à force d’abuser de leur marchandise,...

le 18 août 2014

48 j'aime

1

Pusher
DjeeVanCleef
5

Trombinoscope.

Quand dans tes narines Qui frétillent C'est de la farine Ou du lactose C'est la même chose Ça te rend morose Faut mettre le frigo De Milo Dans l'auto Et si les putes Te rebutent C'est que tu n'es pas...

le 28 sept. 2013

34 j'aime

15

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

765 j'aime

104

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

701 j'aime

54

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

615 j'aime

53