Adepte de la méthode forte pour alerter l'opinion publique, Peter Watkins ne fait pas dans la demi-mesure pour faire passer son message. Il fait dans le choc, le brutal, le radical, au risque de caricaturer son propos et de ne pas être forcément compris Il avait déjà démontré de quoi il était capable quelques années auparavant avec War Game, un vrai faux documentaire qui mettait sous le nez du spectateur lambda un scénario apocalyptique d'une grande crédibilité. Avec Punishment Park, notre homme récidive avec un nouveau vrai faux docu, sans aucune nuance, qui tape durement sur l'administration Nixon. Si le film, très ancré dans son époque, a quelque peu perdu de sa force aujourd'hui, il appartient néanmoins à l'espèce rare des œuvres véritablement polémiques du cinéma et rien que pour cela, il mérite toute notre attention.



En ce début des 70's, la guerre du Vietnam s'aggrave, la contestation s'étend, telle une traînée de poudre, à travers les States : développement des Black Panthers, mouvements étudiants, etc. Devant l'ampleur du phénomène, le père Nixon décide de réagir et décrète le McCarran Act qui permet au gouvernement fédéral d'envoyer au frais, illico presto, toute personne menaçant la sécurité intérieure. Les Etats-Unis sont-ils en train de se transformer en pays totalitaire ? Si on n'en est pas là, les inquiétudes, elles, sont bien réelles et c'est là-dessus que va jouer Watkins pour élaborer un brûlot d'une rare virulence.



Basant son scénario sur le principe de l'uchronie, il nous expose alors sa vision alarmiste de la situation, si l'état d'urgence devait véritablement être décrété. Usant, et abusant, de la puissance du langage documentaire, il nous plonge au milieu d'un cauchemar éveillé dans lequel le gouvernement US déciderait de mater toute opposition en envoyant les fauteurs de troubles (militants des droits civiques, communistes, anarchistes, etc) dans un parc d'attractions bien particulier, le Punishment Park ! Dans cet endroit, perdu au milieu de nulle part, ces derniers vont devoir traverser le désert pendant trois jours, sans eau ni nourriture, pour rallier un drapeau américain flambant neuf ! Un périple qui doit symboliser le rachat de leur faute et leur retour dans le droit chemin. Évidemment, ceux qui ne voudraient pas filer droit, se verraient subir les foudres des forces de l'ordre !



La force de Punishment Park réside dans sa nature semi-documentaire : il nous montre une réalité hypothétique, d'une grande violente, qui ne fait que prolonger le quotidien d'un pays en plein trouble. Alternant entre les images d'un tribunal fantoche où le sort des accusés est joué d'avance et celles nous révélant l'exécution du châtiment, le film est d'une grande efficacité et ne nous laisse aucun répit ! La dimension réelle est d'autant plus marquée que les images que nous voyons sont censées être filmées par une équipe de documentaristes dont nous percevons les commentaires. C'est une façon pour Watkins de démontrer la complicité de certains médias, mais c'est également un moyen pour lui de souligner la force de l'image qui peut dénoncer avec virulence les pires injustices. Les images pèsent parfois plus que les mots, semble-t-il nous dire comme pour justifier sa propre démarche.



Alors bien évidemment, la méthode Watkins a touché son but et a provoqué la polémique à sa sortie. Le film fut rapidement interdit mais il a néanmoins marqué les esprits et reste un symbole fort du cinéma contestataire. Seulement, à le voir aujourd'hui, il peut drôlement décevoir : le discours hippie paraît bien désuet, la vision de la situation paraît outrageusement caricaturale (les flics tortionnaires, Nixon qui est comparé à Hitler, etc.). Et puis surtout, la démonstration de Watkins, une fois passé le choc des premières images, peine bigrement à convaincre. Le passage de la marche dans le désert devient vite lassant et la vision de ce tribunal bruyant, où l'échange verbal est banni, devient rapidement inaudible et fatiguant. Bref, Punishment Park perd de sa force une fois sortie du contexte de son époque, mais il demeure toutefois à voir pour sa représentation de la dérive répressive qui menace toute démocratie, encore aujourd'hui.

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le 13 oct. 2023

Critique lue 15 fois

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Procol Harum

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