A l’ombre d’André Téchiné, Gaël Morel, après 25 ans de carrière reste un cinéaste et un acteur timoré. Bien sur on se souvient de « A toute vitesse » et «Le clan » et même d’un « Après lui » qui bourré de défauts touchait au cœur. Tout est dit, subrepticement une émotion sincère et franche traverse ses œuvres et il faut lui reconnaître cette qualité, pour autant la trame scénaristique et la mise en scène restent trop simplistes pour ressentir autre chose.


« Prendre le large », en s’éloignant de l’univers habituel du réalisateur, conserve les mêmes travers mais se perd en plus dans un sentimentalisme de bazar (exacerbation des émotions, schématisme des ressorts dramatiques). Cette subtile alchimie qui transforme à l’écran un accident de la vie en drame palpitant plutôt qu’en mélodrame mineur, Morel n’en a cure, à la pierre philosophale (un scénario fouillé) il préfère la lacrymale. L’union entre l’hermétisme (personnage d’Edith) et le souffre (contexte sociétal, délocalisations, le rapport à l’autre….) ne fonctionne pas, et, écrit et mise en scène comme tel, ne le pouvait pas.


Le parcours d’Edith, à laquelle Sandrine Bonnaire apporte toutefois une belle force, est tellement prévisible qu’il en devient réducteur. Dès le début le spectateur imagine la réaction en scènes. Il en est de même pour chaque séquence qui confirme peu à peu le drame qui pointe. Le plus frustrant, c’est que jamais l’on se trompe. Cela se passe toujours à l’écran comme on le pressentait.


Pléthores sont les films sur ce type de déracinement, sur l’exil affectif. De mémoire, je pensais à « Voyage en Chine » dont tout l’intérêt reposait sur l’incertitude et la finalité du périple de cette mère en survie. Beaucoup moins bon, « Le cœur régulier » qui réussissait tout de même grâce à un subtil jeu de flash back à donner consistance à cette sœur en mal de vivre. Plus récemment, sous une apparente façade de comédie légère, « Crash test Aglaé », dont le pitch de départ est identique, affichait une réelle profondeur dans la psychologie des personnages, tentait un suspens quant à la viabilité de l’entreprise et se révélait in fine comme une doucereuse mais efficace critique sociale.


On en retrouve aucune de ces qualités, intentions et réflexions dans « Prendre le large ». Il y a de beaux personnages secondaires, Mina, Ali, voire le fils… on aimerait qu’ils aient plus de profondeur apportant de fait plus de consistance et de crédibilité à l’histoire. La mise en scène se contente de quelques plans faciles avec par exemple des prises de vue en France dans les grisâtres à l’inverse de celles du Maroc plus chaleureuses sans pour autant être exceptionnelles, uniquement pour justifier les transits d’Edith. Ou encore l’atelier de confection étonnement silencieux où une mégère tout droit sortie d’un roman de Dickens joue les tyrans… Plus inventif tu meurs !


A la toute fin, j’avais déjà un peu décroché, notre Edith, telle le phénix, et après un parcours digne d’une héroïne de cinéma des années 50, scrute la baie de Tanger. Elle est de dos, on se saura même pas si elle est heureuse. A la limite peu importe. Et dans mon oreille résonne alors, non pas les quelques notes de Camille Rocailleux (dont la BO est bien) mais plutôt celles d’un harmonica… Des notes qui me ramènent tout droit dans une espèce de désert américain où une autre déracinée joue sa vie dans un vieux motel à Bagdad Café, Jasmin ! De son bibi tyrolien improbable, à sa corpulence généreuse, de son regard tendu au monde à sa générosité, personnalité complexe, elle se faisait porte étendard de la femme bafouée mais solide et surtout profondément humaine. Après tout c’est un peu de cette humanité qui manque à « Prendre la large ».


Albert Dupontel s’exprimait il y a peu en disant « Le but ce n’est pas de faire du cinéma, mais son cinéma ». Gaël Morel devrait s’en inspirer…

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le 15 nov. 2017

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Fritz Langueur

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