Un film beau dans tous les sens du terme tout autant que solaire sur le changement de vie

Cela faisait longtemps que l’on n’avait pas eu de nouvelles de Gaël Morel, réalisateur du très beau « Le Clan » et fer de lance d’un cinéma gay davantage contemplatif et mélancolique que militant. Avec « Prendre le large », il prend une direction que l’on ne qualifiera pas de diamétralement opposée mais en tout cas très différente. En effet, le film narre le changement de vie d’une cinquantenaire qui refuse le licenciement économique proposé par son entreprise de textile et préfère choisir le reclassement dans une usine au Maroc et ainsi tout quitter. Même s’il ne se départit pas des atours romanesques de ses précédents long-métrages et ne peut s’empêcher de mettre des personnages gays dans son scénario, il se confronte ici à un cinéma à tendance sociale forte doublé d’un récit initiatique sur le tard d’une femme qui va se confronter à une autre culture et d’autres mœurs que les siennes.


On le remercie de ne pas utiliser une mise en scène se rapprochant du documentaire comme le font beaucoup trop souvent les réalisateurs investissant le terrain du social. En effet, plutôt que d’utiliser la caméra à l’épaule et une image granuleuse typique de ce genre de cinéma, il préfère de beaux plans larges, des travellings discrets mais évocateurs et filmer son personnage principal et les lieux qu’elle visite de manière ample et fluide. En cela, le magnifique dernier plan est tout à fait représentatif d’une réalisation recherchée. Cela n’empêche pas « Prendre le large » d’être tout à fait réaliste et de ne faire l’impasse sur aucun des tenants et des aboutissants de son sujet. On prend bien conscience du contexte actuel où les grandes entreprises préfèrent délocaliser leurs productions dans des pays où la main d’œuvre est moins onéreuse. A cet arrière-plan économique prégnant, s’ajoute ici une peinture réussie du milieu ouvrier marocain où les conditions de travail n’ont aucune commune mesure avec celles des pays du Maghreb. Que ce soit au niveau de la paye, des mœurs ou de la qualité des équipements, le film se fait l’écho du fossé entre deux manières de travailler dans des usines qui sont bien différentes.


Gaël Morel étonne donc avec un sujet sur lequel on ne l’attendait pas. Il se débrouille parfaitement en traitant avec brio la majorité des aspects d’un reclassement à l’étranger. L’autre versant du film est tout aussi intelligemment traité avec l’arrivée d’une femme française dans un pays où la religion a encore un poids fort sur la vie des femmes. On apprécie aussi les rapports entre Edith et les autres personnages, de sa logeuse et son fils à ses nouvelles collègues. Des rapports dénués de tous clichés et empreints d’un fossé culturel évident. Ces personnages qui vont apprendre à s’apprivoiser donnent une jolie palette d’émotions et de tendresse au film sans pour autant oublier les conflits et les désillusions. Ces personnages sont incarnés par des seconds rôles lumineux et un rôle principal porté à bout de bras par une Sandrine Bonnaire digne et concernée. S’il y a quelques baisses de rythme dans le dernier tiers et un passage un peu trop misérabiliste inutile sur la fin, « Prendre le large » et son final émouvant captivent, instruisent et charment durablement.

JorikVesperhaven
7

Créée

le 10 nov. 2017

Critique lue 535 fois

4 j'aime

Rémy Fiers

Écrit par

Critique lue 535 fois

4

D'autres avis sur Prendre le large

Prendre le large
KroleL
7

♫Ce soir je prends le large Sans savoir ou je vais♫

Mondialisation : Désigne un processus par lequel les échanges de biens et services, capitaux, hommes et cultures se développent à l'échelle de la planète et créent des interactions de plus en plus...

le 6 nov. 2017

5 j'aime

2

Prendre le large
JorikVesperhaven
7

Un film beau dans tous les sens du terme tout autant que solaire sur le changement de vie

Cela faisait longtemps que l’on n’avait pas eu de nouvelles de Gaël Morel, réalisateur du très beau « Le Clan » et fer de lance d’un cinéma gay davantage contemplatif et mélancolique que militant...

le 10 nov. 2017

4 j'aime

Prendre le large
Cinephile-doux
6

De l'autre côté de l'amer

De Sandrine Bonnaire, on a souvent dit ou écrit qu'elle était lumineuse dans ses rôles. Ce n'est pas le qualificatif qui vient à l'esprit pour Prendre le large car la femme qu'elle incarne, défaite...

le 5 nov. 2017

4 j'aime

1

Du même critique

Les Animaux fantastiques - Les Crimes de Grindelwald
JorikVesperhaven
5

Formellement irréprochable, une suite confuse qui nous perd à force de sous-intrigues inachevées.

Le premier épisode était une franchement bonne surprise qui étendait l’univers du sorcier à lunettes avec intelligence et de manière plutôt jubilatoire. Une espèce de grand huit plein de nouveautés,...

le 15 nov. 2018

93 j'aime

10

TÁR
JorikVesperhaven
4

Tartare d'auteur.

Si ce n’est une Cate Blanchett au-delà de toute critique et encore une fois impressionnante et monstrueuse de talent - en somme parfaite - c’est peu dire que ce film très attendu et prétendant à de...

le 27 oct. 2022

88 j'aime

11

First Man - Le Premier Homme sur la Lune
JorikVesperhaven
4

Chazelle se loupe avec cette évocation froide et ennuyeuse d'où ne surnage aucune émotion.

On se sent toujours un peu bête lorsqu’on fait partie des seuls à ne pas avoir aimé un film jugé à la quasi unanimité excellent voire proche du chef-d’œuvre, et cela par les critiques comme par une...

le 18 oct. 2018

81 j'aime

11