Qu’il est difficile d’appréhender un avis sur une œuvre dont la fiction se mêle aux souvenirs de mon propre vécu, où une situation, quelques mots ou bien encore des personnages semblent tout droit ressurgir de ma mémoire, non pas qu’ils y étaient enfouis à jamais, plutôt en sommeil, quasi indétectables.


Cette évocation des « années SIDA » est fascinante et de fait terrifiante.


Fascinante car Campillo met constamment son film en danger, souvent borderline jusqu’au seuil du mauvais goût, celui à ne pas franchir au risque de tomber dans le pathos sulfureux (« Les nuits fauves »), le dogmatisme condescendant (« Philadelphia ») ou désespéré (« N’oublie pas que tu vas mourir ») et pire, la nunucherie (« Théo et Hugo dans le même bateau »). Ce fragile équilibre donne au film tout son sens l’auréolant d’une authenticité où crudité et précision sont de mise, sans pour autant détourner l’émotion.


Car « 120 battements par minutes » est bouleversant, mais en toute humilité et avec beaucoup de pudeur. Cette délicatesse tient également à sa construction. En partant d’une vision macro (vie et actions d’Act Up) pour arriver à une micro vision (l’histoire d’amour entre Sean et Nathan), le spectateur pénètre petit à petit dans l’intimité de la maladie et les drames que cela engendre. Constitué de petites scènes efficaces, la redondance du départ (assemblée, action commando, briefing) laisse peu à peu le champ libre à la réflexion. Le récit s’affine alors, comme la conscience de Nathan, et creuse peu à peu chaque personnalité. Et là encore Campillo vise juste en offrant une approche pertinente des comportements humains face à cette situation. Il redonne un côté bienveillant à l’association Act Up dont les médias de l’époque n’ont eu de cesse de la fracasser de leur mépris en faisant passer ses membres pour des activistes dangereux et irresponsables.


Si cette sentimentalité d'ensemble apaise parfois l’esprit, « 120 battements par minute » réveille aussi les vieux démons. Et c’est dans ce sens que l’évocation en est terrifiante.


La reconstitution de cette période est telle, que ressurgit un contexte dont on avait presque occulté l’horreur. L’horreur d’une génération qui a été sacrifiée : stigmatisation, peur, rejet, souffrance et bien évidemment le décès de 36 millions de personnes à travers le monde depuis 1980 dont la plupart très jeune. Que ce soit Sean dans le film, ou trois de mes amis proches, comment se résigner à voir son corps amoindri, son visage se distordre par la douleur, alors que quelques mois avant ce même corps et ce même visage n'étaient que beauté, vitalité et force !


L’horreur tient aussi au lobby des laboratoires pharmaceutiques (communication mutique, coûts exorbitants mais aussi des pouvoirs publics démunis face à une telle pandémie en France, bien sur, qui tentèrent timidement d’agir (contrairement aux Etats-Unis) et aujourd’hui en Afrique. Car si aujourd’hui les traitements s’avèrent efficace, il n’en reste pas moins que la maladie elle existe encore (une contamination toutes les 17 secondes par le monde !).


Campillo n’épargne pas non plus la communauté d’alors, entre ceux qui effrayés pratiquaient l’abstinence et ceux qui refusaient l’évidence en continuant les pratiques à risques. Il égratigne également (et gentiment) les associations de lutte contre la maladie (pour l’avoir vécu c’était quelque chose !) où rivalités, individualités dissonantes, quête du pouvoir venaient parfois fausser le combat… et souvent les débats !


Le thème du SIDA a été assez souvent traité au cinéma. Que ce soit sur les origines (« Dallas buyers club », « Zéro patience »), en suivant un personnage (Richard/Ed Harris dans The Hours), ou de manière décalée (« Jeanne et le garçon formidable ») mais in fine aucun n’a véritablement abordé autant d’aspects autour de la maladie. « 120 battements par minute » se place d’ors et déjà comme le film de référence car il parlera aussi bien et aussi fort « aux survivants » qu’à la nouvelle génération que l’on sent nettement moins impliquée.


Bien évidemment, il serait inconcevable de parler du film sans évoquer ses acteurs éblouissants sans qui autant d’émotions ne seraient ! Nahuel Perez Biscayart et Arnaud Valois respectivement Sean et Nathan tous deux incroyables ! Adèle Haenel, Antoine Reinartz, Félix Maritaud, Aloise Sauvage, Simon Bourgade, Mehdi Touré, Catherine Vinatier, Ariel Borenstein sont magnifiques comme le reste du casting du reste.


Si Campillo s’était totalement vautré avec « Eastern Boys » son précédent film aux contours imprécis et son côté malsain, il signe ici un coup de maître d’une grande puissance, maitrisé, générationnel, profondément intime, célébrant la vie malgré la douleur toujours présente. « 120 battements par minute » est assurément le film de 2017 à ne pas louper.

Fritz_Langueur
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le 24 août 2017

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Fritz Langueur

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