Indiscutablement « Tale of tales » sera le film le plus controversé de l’année 2015, accueil mitigé a Cannes, critique divisée et premiers ressentis de spectateurs contrastés. Me moquant éperdument des trois, j’avais très envie de découvrir ce film dont les premières images laissaient comme première impression volupté et mystère. Sur ce point, je ne suis pas déçu, loin s’en faut. Le film mérite une analyse poussée tant il appelle réflexions et impressions. « Tale of tales » n’est pas le chef d’œuvre que j’espérais. Mais il se range d’ors et déjà dans ma liste de films « impérissables », il faut comprendre sous ce vocable un peu péremptoire, que je le regarderai régulièrement avec un plaisir constant et un étonnement renouvelé. Dans le premier cas parce qu’il est un film charmant (même si prince et non roi) et dans le second il offre une telle densité visuelle, mais aussi intellectuelle (symboles nombreux) qu’une unique vision ne permet pas de tout découvrir ou déceler.


Matteo Garrone, dont la filmo est (euphémisme !) très éloignée de cet univers (si l’on se réfère à « Gomorra » par exemple) s’attèle à l’adaptation d’un grand classique italien « Le conte des contes » de Giambattista Basile, de petite noblesse italienne (entre le 16ème et 17ème siècle), auteur à ses heures (assez courant à l’époque, on pourrait lui trouver un équivalent français en la personne de François Joseph de La Grange-Chancel). Il s’agissait pour cet « écrivaillon » de surpasser le « Décaméron » de Boccace adapté récemment au cinéma par les frères Taviani, j’y reviendrai. Comme pour le « Décaméron », « Le conte des contes » se compose de plusieurs pièces reliées entre elles sur une trame calendaire. Garrone n’en retient que trois et construit son film sous forme de retable. Avec en panneau central le récit de la princesse aux petites poisses d’Altomonte, et sur les deux panneaux d’extrémité, le récit de la reine de Selvascura et celui du roi de Roccaforte. Sur le principe du retable, les trois tableaux peuvent se voir de manière différenciée, mais s’imbriquent l’un à l’autre et se décryptent en un seul tenant dans une perspective globale, force de détails venant s’immiscer pour créer du liant. Rien que sur cette séduisante idée, et surtout sa parfaite application, le scénario se tient et nous plonge dès les premiers plans au cœur des contes.


La structuration est une chose, le contenu en est une autre. Que retenir de l’ensemble ? Les grands thèmes classiques récurrents dans les contes (sur un point de vue psychanalytique) sont évoqués, l’Œdipe (Royaumes de Selvascura et Altomonte), le mythe du Graal et l’éternelle jeunesse (Royaume de Roccaforte), le rôle de la femme affranchie (Royaumes de Roccaforte et Altomonte). L’amour contrarié y tient une place de choix. L’obstacle se faisant tour à tour maternel, paternel, filial ou simplement bestial (ogre, roi de Roccaforte). Matteo Garrone est un peu moins à l’aise dans cette démonstration, c’est le seul moment où le film pêche un peu. Il sait retranscrire, colère, action, et forfaiture en tous genres, mais devient plus timoré en matière de sentiments. Autrement dit, il est parfait quand il s’agit de lancer le « Once upon a time » beaucoup moins sur le côté « They got married and lived happily ». Sous entendu, l’acte domine la morale. A contrario, il n’est pas évident d’adapter un texte séculaire et séduire un grand public en attente de sensations fortes. Il y a de multiples options, celle de l’académisme assumé et de l’esthétisme avec « Les contes italiens » des Taviani, le surréalisme d’un Cocteau avec ses « Orphée » ou la malice toute contemporaine d’un Honoré avec ses « Métamorphoses ». Ce que l’on peut reprocher à « Tale of tales » est le manque d’onirisme et d’émotions simples que l’on trouve par exemple dans « Le labyrinthe de Pan » de Guillermo Del Toro.


Là où le film est PHENOMENAL, c’est bien au niveau de la technique. A commencer par les vélasqueziens costumes éblouissants, (au sens propre comme au figuré) de Massimo Cantini Parrini, formé par Gabriella Pescucci (« Il était une fois en Amériques », « Le temps de l’innocence », « Charlie et la chocolaterie »…). L’élève égale ici le maître, que ce soit dans le design (visuellement nous sommes bien à cheval entre 16ème et 17ème siècle), la conception (énorme travail sur les broderies, étoffes, dentelles…) ou dans certaines pièces de joaillerie, on touche à la perfection. On n’avait plus vu un tel travail depuis Pierre Tosi (« Mort à Venise », « Ludwig ou le crépuscule des dieux », « La Traviata »). Un ouvrage remarquable ! Le reste de la technique est à l’avenant, Peter Suschitzky, le chef op attitré de Cronenberg captive par ses lumières sépulcrales ou irradiantes. On ne peut oublier Dimitri Capuani et ses décors intérieurs savamment étudiés mais aussi extérieurs qui sont tout aussi impressionnants (Châteaux de Donnafugata, Del Monte, Roccascalegna…), ce sont de magnifiques écrins aux drames qui se jouent. Quant à Alexandre Desplat, tantôt martelant le tempo du film, tantôt nous enivrant de ballades suggestives, il a su trouver une vraie dimension historique à sa partition entre flûtes et cordes. On le voit le film est plastiquement irréprochable ou presque, le bestiaire (puce, dragon de mer, monstre de la grotte…) est un poil trop latexé pour être vraiment crédible. A l’heure du tout numérique c’est plutôt dommage.


L’autre reproche que l’on découvre ici ou là pour « Tale of tales », est son casting rutilant international. Tous, sans exception, même le maniériste Cassel, sont pour le moins convaincants pour le plus vraiment bons. La palme revenant à une Salma Hayek (troublante de ressemblance avec Catherine Deneuve) dont la beauté vénéneuse rivalise avec son charisme viril. Elle est l’incarnation parfaite de la méchante dans le conte (détail qu’omet trop souvent Disney dans ses adaptations, ne choisissant que des cruches).


Si « Tale of Tales » n’est pas le chef d’œuvre que j’escomptais, ni même le meilleur film de cette année, il restera pour moi l’un des temps forts de ces derniers temps. Il a réussi à me transporter, sans qu’aucune réelle résistance ne m’en empêche, dans un univers magnifique aussi féérique qu’occulte, raffiné que trivial où j’ai retrouvé, les années aidant, ce que je croyais avoir perdu, mon âme d’enfance, et par là même une certaine part d’innocence. Quel accueil lui réservera le public ? Les distributeurs, suite à l’accueil froid de Cannes, craignent visiblement l’échec. Entre bande annonce mollassonne et absconde et trailers ciblés horreur, il n’y a pas de cohésion. On table sur tous les publics en différenciant les supports. Ce qui est trompeur, provoquera immanquablement beaucoup déception, et le bouche à oreille, c’est à craindre, ne sera pas terrible. Si l’on ajoute à cela la canicule de derniers et prochains jours, il y a tout à craindre. Ce serait vraiment dommage !

Fritz_Langueur
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le 3 juil. 2015

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Fritz Langueur

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