De retour, Denis Villeneuve (Prisoners, Incendies) nous offre un spectacle ahurissant avec Arrival. Alors qu'il prépare Blade Runner 2, le réalisateur met déjà les pieds dans l'univers de la SF, et pour être honnête : ça en valait la peine ! Ce mélodrame fantastique prouve une nouvelle fois toute la polyvalence du cinéma de Villeneuve. Une réussite malgré une certaine molesse dans l’épilogue. Tout d'abord, on nous offre une vision inédite de l'invasion extraterrestre et c'est là que se trouve le point fort du film. Au lieu de se concentrer uniquement sur la menace et la confrontation violente avec ces êtres venus d'ailleurs, le film s'obstine à nous donner une lecture moins conventionnelle. C'est donc à partir de la communication et de la science qu'Arrival nous entraine dans son sillage.


Alors que le monde a été envahi par des extraterrestres, le gouvernement américain embauche alors une linguiste afin qu’elle déchiffre leur langage et découvre leurs intentions. Rien que le fait de réinventer un language, réfléchir à une invasion autre que celles que nous connaissons déjà par coeur et penser les vaisseaux et les aliens autrement ; voilà qui est déjà un pari gagné, et culotté. Imaginez une forme noire, titanesque et allongée, qui lévite verticalement au-dessus de la surface de la Terre. En dépit de ses courbes, cette structure extraterrestre sibylline suggère inéluctablement le monolithe de 2001, l’Odyssée de l’espace. Denis Villeneuve assume sans rougir son fétichisme à l’égard de Stanley Kubrick. Manière de rappeler peut-être que depuis 1968, plus aucun film de science-fiction n’a au fond esquissé autre chose que l’exégèse du chef d’œuvre (grossièrement).


Là où le film pourrait décevoir, c’est que le réalisateur choisit de commencer par une histoire, somme toute banale, mais cela pour mieux nous emporter. Aussi brillant soit ce huitième long métrage, aussi astucieuse soit sa direction artistique ; le cinéaste réarticule ses obsessions et ne nous évite pas cet appesantissement dans le final. En effet, des aliens qui envahissent la Terre sans que l’on connaisse leurs intentions, c'est une storyline d’une banalité presque affligeante. Pourtant, c’est dans le choix des personnages et du traitement que Villeneuve va faire la différence. Mention spéciale pour les vaisseaux et les aliens-poulpes à la The Mist avec leur encre en guise de langage. Car même si les premières et les dernières minutes peuvent paraitre indolentes, difficile de ne pas se laisser aller devant la limpidité de cette histoire. Le film se veut une métaphore d’une humanité en perdition, à travers l’exploration de la psychologie de Louise (Amy Adams). Louise est une écorchée qui a perdu un être cher, une partie d’elle-même. Elle s’accroche à son job, sa seule raison de vivre. Mais plus elle essaie de comprendre ce qui lui échappe, plus ses doux souvenirs se transforment en douleurs envahissantes, c'est à l'image des événements. Les moments angoissants et étranges prennent petit à petit le dessus sur la situation. L'histoire devient meilleure au fil du film, et poursuit sa logique jusqu’à l’extrême, voire au-delà. Sans doute parce que Villeneuve se munit de l'une des utilisations les plus intelligentes de storytelling antichronologique.


Dans un contexte incertain, face au danger du radicalisme et à l’obscurantisme qui nous menace, Denis Villeneuve se veut à la fois alarmant et plein d’espoir : pour lui, la communication est la clé de la paix de l’humanité. C'est d'ailleurs ce qu'il essaye de prouver lorsque les gouvernements se mettent à échanger (ou non) leurs idées concernant la crise qu'ils traversent. A ce titre, le choix de la linguiste reste parfaitement logique et intelligent. Un soin minutieux et une facilité enfantine permettent au cinéaste de jongler entre la grandiloquence du film d’invasion extraterrestre et des enjeux plus resserrés (la famille brisée). Oeuvre nourrie par une histoire extrêmement bien ficelée, rien ne nous fera regretter. Villeneuve mêle comme souvent de nombreux genres, Science-fiction, surnaturel, thriller et mélodrame ; la combinaison fonctionne à merveille.

Créée

le 5 déc. 2016

Critique lue 1.6K fois

43 j'aime

10 commentaires

Mil Feux

Écrit par

Critique lue 1.6K fois

43
10

D'autres avis sur Premier Contact

Premier Contact
Velvetman
8

Le lexique du temps

Les nouveaux visages du cinéma Hollywoodien se mettent subitement à la science-fiction. Cela devient-il un passage obligé ou est-ce un environnement propice à la création, au développement des...

le 10 déc. 2016

260 j'aime

19

Premier Contact
Sergent_Pepper
8

Mission : indicible.

La science-fiction est avant tout affaire de promesse : c’est un élan vers l’ailleurs, vers l’au-delà de ce que les limites de notre connaissance actuelle nous impose. Lorsqu’un auteur s’empare du...

le 10 déc. 2016

192 j'aime

16

Premier Contact
trineor
5

Breaking news : t'es à court sur la drogue bleue de Lucy ? Apprends l'heptapode !

Bon, bon, bon. Faut que je réémerge d'une apnée boulot déraisonnable, rien que le temps d'un petit commentaire... parce que c'est que je l'ai attendu, celui-ci. Et fichtre, je suis tout déçu ...

le 7 déc. 2016

153 j'aime

61

Du même critique

Dead Man
Mil-Feux
10

« Il est préférable de ne pas voyager avec un mort »

Un pied devant l'autre, il s'agira de descendre du train sans trébucher, puis d'avancer à travers les nuances de l'un des bouts du monde, entre tradition et modernité, vers les derniers bras tendus —...

le 3 janv. 2016

76 j'aime

4

My Own Private Idaho
Mil-Feux
10

Survivre — suspendu à un fil

My Own Private Idaho ressuscite le premier âge du cinéma de Gus Van Sant : baroque, mélodramatique, halluciné, mais déjà hautement conceptuel. Van Sant imagine un casting idéal, avec de jeunes stars...

le 19 févr. 2016

64 j'aime

14

Frantz
Mil-Feux
6

Interminable deuil

Avant tout mitigé, perplexe et pas entièrement convaincu, me voici un peu embarrassé face à ce dernier projet de François Ozon, qui, osons le dire, n'est pas totalement clair et fait du sur-place...

le 8 sept. 2016

51 j'aime

8