Breaking news : t'es à court sur la drogue bleue de Lucy ? Apprends l'heptapode !

Bon, bon, bon.
Faut que je réémerge d'une apnée boulot déraisonnable, rien que le temps d'un petit commentaire... parce que c'est que je l'ai attendu, celui-ci. Et fichtre, je suis tout déçu ! D'après mes petites planifications, ce film était censé signer le dernier pallier de la hype dans le crescendo d'enthousiasme que m'inspire la filmographie de Villeneuve depuis ses débuts, juste avant l'orgasme suprême Blade Runner 2049 ; et là, ô misère ! c'est la retombée du soufflé.


Pourtant ça commençait bien !
Formellement, le film est pas loin d'être irréprochable, je trouve : dans la veine de ce qu'il a développé sur Sicario, Villeneuve joue d'une esthétique à la fois élégante et rude ; ample, majestueuse, mais sans fioriture. De ce côté, il y a un vrai plaisir à voir se mettre en place la patte d'un cinéaste qui promet de devenir un grand... car Prisoners était encore très redevable de l'empreinte de Fincher et Eastwood, Enemy de celle de Cronenberg ou Hitchcock, mais depuis Sicario, je trouve qu'il s'est fièrement émancipé notre Villeneuve.


Puis j'ai adoré, pendant toute la première heure de film, cette ambiance incroyable, la musique pesante, l'approche réaliste jusqu'au vertige et surtout, surtout, ce degré d'exigence formidable à l'écriture qui, adoptant la perspective d'une traductologue – et osant l'adopter avec rigueur ! – propose un parti pris véritablement inédit sur ce thème mille fois rabâché de la SF qu'est la rencontre avec un peuple extraterrestre.


Sauf que.
La deuxième heure arrive, et là, c'est le drame. Non mais sérieusement. On ne peut pas honnir le pétage de plomb du trou noir d'Interstellar et ne pas moufter devant la grosse farce que constitue la résolution de ce Premier contact. (Pour ceux que la balise ne mettrait pas suffisamment en garde, que je le précise : je compte spoiler comme un porc passé ce point ; alors fuyez, pauvres fous !)


On a donc Dudune qui, parce qu'elle a appris une nouvelle langue, se met à voir le futur et – ouroboros en folie, c'est les soldes à la foire du paradoxe logique ! – se fait dicter dans le détail par une vision du futur la marche à suivre afin que ce futur puisse advenir et, au passage, que le monde ne sombre pas dans la guerre.


Alors allons, je veux bien être tolérant sur le coup du paradoxe temporel, on l'a toléré tellement de fois au cinéma, crier haro pour une fois de plus, ce serait exagérer un peu – même si, franchement, je répète, étant donné l'exigence de l'écriture dans la première heure, on était en droit d'attendre mieux que ça. Mais quand, sans crier gare, alors que jusque là tu as mis un soin infini à mettre l'accent sur ton parti pris réaliste, tu mets un gros fuck à toute espèce de vraisemblance en sortant de nulle part que...


... parce que ton personnage a débloqué son esprit en comprenant la langue des aliens, elle obtient un cheatcode sur le réel qui lui permet de naviguer dans le temps, je dis non. Juste non.


C'est même plus de l'ordre d'Interstellar, là ; c'est du Lucy !


Parce que bon, voilà : je veux bien que les structures du langage conditionnent notre appréhension du réel, et que par conséquent, en acquérant une nouvelle langue qui se fonde sur une structure logique alternative, on puisse accéder soi-même à une perception alternative du monde ; mais c'est la part interprétative de la perception qui est conditionnée par le langage, pas la part sensible !


Enfin bordel, quoi : il n'y a aucun motif plausible de supposer qu'apprendre une langue puisse te faire accéder à des facultés suprasensibles, te débloquer des super-pouvoirs, te rendre extralucide ou je ne sais quelle connerie encore ! Vraiment, j'ai l'impression de revoir la Scarlett Johansson qui, parce qu'elle unlocke son cerveau se met à se désintégrer et à faire de la télékinésie ! Sauf que Luc Besson, il dégoupillait d'emblée, lui, il n'y avait pas une heure de tromperie sur la marchandise en début de film !


Puis franchement, est-ce que quelqu'un osera me soutenir que cette affaire de coup de fil au général chinois où, très opportunément, on ne sait même pas ce qui s'est dit pour renverser la situation, ça ne hume pas franchement – sous couvert de petit tour de prestidigitation scénaristique – la grosse facilité mal cousue d'un scénariste ne sachant plus comment atterrir sur ses pattes ? Et vas-y que je te saupoudre ça d'émotion maternelle superflue, de jolies zimages de petite fille nimbée de lumière, d'amour qui traverse le temps... pouah, on commençait dans l'exercice linguistique exigeant, et on finit vautrés en plein new age !


Bref, je suis tout triste.
C'était tellement bien parti, avant de déboulonner complètement. Je t'aime, mon p'tit Villeneuve, tu sais... mais tu me fais pas ça sur Blade Runner, hein ! Tu me fais pas ça, s'il te plaît.

trineor
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le 7 déc. 2016

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trineor

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