Comme le montre très bien la critique de PFloyd (à tout seigneur ...), le film peut laisser, longtemps, perplexe
http://www.senscritique.com/film/Pink_Floyd_The_Wall/critique/23205732
... et d'autant plus que The Wall, malgré son énorme succès, n'est sans doute pas, loin de là, un des meilleurs albums du groupe culte.

Le problème de l'adaptation

J'ai déjà développé dans une autre critique (consacrée à The Barber ... aucun lien ... si, peut-être, une manière d'autisme) tous les problèmes qui pouvaient être liés à une adaptation cinématographique. Lorsque celle-ci est très fidèle à l'oeuvre originale, surtout si celle-ci est très connue, l'intérêt en devient souvent des plus réduits - perte d'éléments intéressants, souvent très subtils, et grossissement, sur-explicitation lourde des traits les plus évidents, extrême difficulté à passer d'un langage à un autre, sauf à nouveau à multiplier les effets bien lourds pour bien montrer qu'on fait oeuvre originale. Pour The Wall, la présence très tutélaire de Roger Waters, son souci maniaque de tout contrôler a assurément freiné, bridé la puissance créative d'Alan Parker. J'ai souvenir d'avoir croisé il y a longtemps un réalisateur (très modestement connu et pas très bon) qui après avoir vu The Wall n'hésitait pas à dire qu'il venait de voir un film parfait, ou presque. Longtemps après, je ne suis toujours pas convaincu.

Le problème de l'adaptation d'une oeuvre musicale

Les choses se compliquent encore - et à nouveau du fait de l'option imposée par Waters. A la différence du Tommy de Ken Russell (adaptation 7 ans auparavant de l'oeuvre des Who), dont je ne peux pas m'empêcher de penser qu'il a joué sur l'idée d'adapter The Wall au cinéma (un enfant quasi mutique, orphelin de père, aviateur mort à la guerre, plongé dans l'enfer des drogues et du show biz ...), le film d'Alan Parker reprend en off les chansons de l'album, illustrées par des images (et très peu de texte parlé) alors que l'adaptation de Russell proposait une nouvelle version musicale des chansons, avec de nouveaux interprètes et de très belles réussites (Elton John, Tina Turner, Keith Moon ...) chantant et jouant en direct pour la version filmée. La reprise en off des chants originaux, on ne touche pas aux productions sacrées de Waters, renforce de façon manifeste l'effet clips (une succession de clips juxtaposés, parfois sans cohérence apparente) et ôte une grande partie de l'originalité à l'oeuvre nouvelle. L'oeuvre de Russell est un opéra rock et elle est adaptée comme tel ; The Wall n'est pas un opéra rock mais un album concept. Les personnages (surtout s'ils s'ont privés de la parole ...) n'y vivent pas. Une succession de clips ...

De la musique

Très paradoxalement, il me semble que j'apprécie davantage la musique de The Wall après avoir vu le film. L'inintérêt relatif du récit et l'aspect spectaculaire des images, aujourd'hui encore, offrent une manière d'écrin, un emballage très luxueux qui met réellement en valeur la musique de Pink Floyd, son caractère assez unique, réellement original dans l'oeuvre du groupe, même si la guitare de Gilmour reste immédiatement identifiable, avec des claviers très en retrait (Wright venait d'être viré), et un son souvent très âpre, très dur, bien adapté au thème et finalement très rock.

Et du texte

Inversement le caractère immédiatement explicite des images et la difficulté à lier les différents récits juxtaposés (ainsi que les sous-titres en français sur l'écran ... qu'il faudrait peut-être éviter) imposent une concentration bien plus forte sur le texte. Lors des concerts, certes spectaculaires, la construction / destruction du mur symbolique, mais aussi la présence de leitmotivs propres au groupe (le cochon géant, sans lien immédiat avec The Wall) et le caractère très dépouillé et peu explicite des éléments du spectacle renforcent la concentration (c'est quand même le but !) sur la musique - le texte chanté n'étant qu'un élément de l'ensemble musical. Avec la survalorisation du récit lié à l'image, il prend une dimension bien plus importante - avec un problème majeur : le texte n'est pas très bon., souvent très artificiel, parfois grossier (mais sans classe), avec des rapprochements sans grand intérêt (la maladie liée à la fréquentation d'un rat et l'hospitalisation finale du héros), et un aspect très abstrait (une approche très peu étayée, sans chair, de la folie et de l'enfermement). On est loin de Wish you were here.

Scénario

De fait les thèmes abordés peuvent sembler plus ambitieux que vraiment originaux : le père mort prématurément, la mère possessive (assez peu exploitée d'ailleurs), l'école qui détruit les enfants, la scène et le succès (les groupies, l'imprésario) qui finissent par conduire à une schizophrénie irrémédiable (comment ne pas me prendre au sérieux quand des foules entières s'acharnent à me persuader de mon génie ?) et à des excès assez glauques (et peut-être vaguement ambigus). Le montage non linéaire, les rencontres entre l'enfant et l'adulte ne suffisent pas à donner une véritable personnalité à un scénario plus confus que vraiment original.

Et le pire c'est que cet excès (finalement assez creux) d'abstraction finit par aboutir sur le personnage de Pink : il n'y a pas de rôle à défendre, ou à peine : un personnage mutique et déprimé, un visage constamment dépressif et seulement dépressif (à l'exception de quelques moments, rares, d'explosions violentes, dans la chambre avec la groupie ou à la fin du film). Aucune empathie possible.

Quant à la mise en scène d'Alan Parker, contraint de forcer le trait faute de pouvoir imposer sa propre vision, elle finit par se révéler, parfois, très lourde.

Alan Parker

Ken Russell (j'y reviens parce que je l'aime beaucoup) et Alan Parker sont des grands réalisateurs - même s'il y a sans doute plus de folie, plus d'originalité très personnelle dans les délires de Russell. De Midnight Express à Angel Heart (une grande mise en scène, dans sa grande période où s'inscrit d'ailleurs The Wall), Parker réalise des films très intéressants. Et il y a des plages très réussies dans The Wall - des mouvements de foule très dynamiques, des plongées maîtrisées (le travelling au-dessus des toilettes partant d'un policier en uniforme pour s'achever sur Pink, immobile dans la position du foetus), des trouvailles, d'ailleurs liées au texte de Waters, comme la transformation des foules moutonnières et de la jeunesse en chair à saucisse, une très belle et très dure évocation de la guerre des tranchées avec des images qui pourraient presque évoquer les plus belles oeuvres d'Otto Dix ou la scène, parfaitement filmée et forte de la rupture téléphonique et sans mots entre Pink, sa compagne - et son amant.

L'alternance, rare à l'époque, avec des temps de cartoon, très réussis (notamment à nouveau la représentation des tranchées ou la séance sexuelle entre les plantes carnivores) se révèle également intéressante.

Des moments de vraie réussite

Le film finit par décoller - mais tard, au bout d'une heure. Et là, on échappe vraiment à l'effet clip, les enchaînements sont fluides, très rythmés. Les images s'imposent, symboliques (la guerre, les marteaux croisés revenant régulièrement au long du film, bien avant l'évocation de la dictature finale, l'image de l'enfant courant au loin sur un terrain désert - de rugby ?) ou enchaînées de la façon la plus tonique - entre l'irruption de l'imprésario (Bob Hoskins) et de ses acolytes, préservant une part de mystère et de fantastique, l'évocation de Pink en dictateur, avec des moments évoquant presque Orange mécanique jusqu'à l'auto-procès final présenté sous la forme du cartoon (j'apprécie d'ailleurs moins ce final). Mais cette fois la folie s'installe vraiment, prends corps.

Et à ce moment on peut ressentir une véritable osmose entre la réalisation hallucinée de Parker, le texte de Waters et la musique. Il est vrai (mais est-ce un hasard ?) que c'est à ce moment que surgissent les morceaux composés par ... Gilmour, notamment le magistral Comfortably numb - dont Waters avait longtemps refusé les parties instrumentales ...

Une véritable osmose donc, pour un final assez magistral. Dommage que cela arrive si tard ...
pphf

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