Avec Tuer n’est pas jouer, 15ème film de la franchise 007, Timothy Dalton avait su imposer un James Bond plus humain, moins archétypal, aux antipodes de celui de son prédécesseur, Roger Moore, dont le règne avait conduit parfois le personnage au bord de la caricature.

Sorti deux ans après, Permis de tuer poursuit sur cette lancée et tente de moderniser ses enjeux. En 1989, alors que la chute du mur n’est pas encore survenue, l’Union soviétique n’incarne plus la grande menace mondiale. D’où la volonté pour les producteurs et les scénaristes de confronter Bond à un antagoniste incarnant un mal plus moderne. Le baron de la drogue Pablo Escobar ne cessant alors de faire parler de lui, le méchant de Permis de tuer en sera une transposition. Et comme on sait que les cartels sud-américains ne sont pas connus pour leur magnanimité, le film sera pensé pour être le plus violent de la franchise.


Et autant dire que dans ce registre, John Glen, réalisateur attitré de tous les Bond des années 80, ne fit pas les choses à moitié. Pour son dernier film en tant que réalisateur, le cinéaste entend bien la volonté du producteur-scénariste Michael G. Wilson et se lâche dans la cruauté.

Un Felix Leiter servant de repas aux requins, un amant à qui on arrache le cœur (hors cadre), un Anthony Zerbe dont la tête explose, un vilain sbire empalé sur le vérin d’un monte-charge, un autre trop rancunier (le jeune Benicio Del Toro) qui finit en charpie, passé dans un broyeur, un comptable geignard criblé de balles, un grand méchant finissant en grillade… Permis de tuer aligne les mises à mort cruelles et dégueulasses pour un résultat voulu à la hauteur de la concurrence. Car le cinéma spectacle des années 80 a depuis longtemps intégré l’horreur et les mises à mort chocs dans ses films d’action et d’aventures (surtout sur l’impulsion de Spielberg). Preuve en sont les Indiana Jones et ses têtes qui fondent, Terminator et son robot qui s’arrache un œil, Commando et ses mercenaires qu’on empale, Predator et ses soldats éventrés et équarris, et Die Hard avec son PDG à la cervelle explosée. Mais en voulant se mettre au diapason, les producteurs de ce 15ème James Bond iront un peu trop loin et devront d’ailleurs revoir leur copie vis-à-vis de la censure pour réduire la violence et permettre à leur film d’être classé au moins pour les plus de 13 ans par la MPAA (une première dans la franchise).


Cette violence excessive ayant fait jaser la presse et les critiques à son époque, Permis de tuer est-il un mauvais Bond pour autant ?

Certainement pas. C’est d’ailleurs un des meilleurs films de la franchise, annonçant l’ère du Bond/Brosnan assassin et du Bond/Craig revanchard. Dans Permis de tuer, Timothy Dalton transforme son James Bond en vengeur impitoyable face un ennemi dont la cruauté, digne des méthodes du chef du cartel de Medellín, semble répondre à ce que Bond rêve de lui faire. Plus le cœur à rire, fini les petites punchlines en œillades au public, le Bond de Dalton annonce clairement l’animalité de celui de Craig. Les James Bond girls sont bien sûr toujours de rigueur, elles divisent même le cœur de l’espion. Toujours un peu potiche mais un peu plus active, l’une des deux, incarnée par l’ex-mannequin Carey Lowell, ridiculisera même les élans machistes et libidineux d’un gourou de secte un peu trop cavalier. Et tout s’achemine vers un dernier acte parmi les plus spectaculaires où Bond se lance dans une course-poursuite explosive, véritable morceau de bravoure. Impossible de ne pas évoquer cette scène culte où un cascadeur de l’équipe de Rémy Julienne, au volant d’un camion citerne Kenworth (huit en tout, pour le tournage), esquive une roquette en faisant rouler son bahut en biais sur les cinq roues extérieures gauche avant de se réceptionner pile poil sur une Jeep. Répétée sur seize prises, la cascade reste parmi les plus spectaculaires de la franchise.


Ce concentré d’action et de violence aurait donc dû attirer les foules à son époque. Loin d’être un four, les recettes du film furent pourtant jugées décevantes. C’est qu’en cette année 1989, Bond n’était plus la garantie de succès qu’il avait été durant trois décennies. La concurrence était féroce (Batman, Indiana Jones et la dernière croisade, Abyss, SOS fantômes 2), le public n’attendait plus un film 007 comme auparavant. La chute du bloc soviétique ne fit que renforcer la désuétude associée au nom de James Bond. En coulisses, une bataille éclate entre la MGM et EON Productions sur le monopole des droits de la franchise. Un litige qui s’enlisera devant les tribunaux durant six ans. Six années durant lesquelles, les paysages géopolitiques et cinématographiques changèrent, révélant de nouveaux enjeux et de nouveaux styles. Dans les couloirs d’Hollywood, le nom de James Bond devient has-been. Une blague, associée à une franchise qui, semble-t-il, ne ressuscitera jamais.

Puis, un beau jour de 1995, sortit GoldenEye.

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le 7 sept. 2023

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Buddy_Noone

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