Augmenter les enjeux, restreindre les espaces

Alors que le monde occidental subit depuis quelques années une moralisation conséquente en terme de civisme et de politique, la critique française a couvert "The Post" d'éloges voyant en son réalisateur populaire l'encodeur parfait pour diffuser la sainte parole. Démocrate convaincu, "Steven Spielberg" a toujours utilisé le langage cinématographique pour faire part de ses opinions diverses. Avec ses thématiques liées à la parité homme/femme, sa liberté d'expression et ses malversations politiques, "Pentagon Papers" tombe à point nommé pour "les journaleux" d'orienter le débat. Certes, les faits sont là mais ce nouvel opus du réalisateur de "La liste de Schindler" occupe une place culturelle, politique et affective bien plus conséquente pour son auteur qu'une simple récupération aux accents opportunistes. Explications.


Spielberg et l'Histoire


Vu la réception catastrophique du quatrième volet "d'Indiana Jones", peu auront remarqué le soin que Spielberg (aidé de George Lucas) a accordé à sa partie historique. Les E.U. en proie au chaos voient des agents Soviétiques dans chaque bol de riz. Lors d'un affrontement, "Indy" révèle avoir été espion pour le compte "Ike Eisenhower". Derrière la couche fictionnelle du Pulp, il y a l'artiste attaché à l'histoire qui aime mêler contexte historique réel et personnages de BD. Un dispositif déjà utilisé dans "La Dernière croisade" avec l'apparition de "Adolph Hitler". Tordre habilement l'histoire pour un divertissement de haute volée ou retranscrire un fait ayant réellement existé, "Spielberg" a toujours aimé les périodes houleuses de son pays. Patriote le réalisateur de "Jurassic Park" ? Oui mais modéré et plus enclin à exposer les faits et à questionner plutôt que rentrer dans le tas avec l'appuie continuel de ses Maîtres à penser. Ainsi comme un vieil éléphant désireux de retourner sur son territoire, l'ex Wonder boy ne se cache plus et cite ouvertement "David O Selznick" et "Victor Fleming" pour "Cheval de Guerre", "John Ford" pour "Lincoln", les films d'espionnage des sixties pour "Le Pont des espions" avec le fantasme d'y voir "William Holden" à la place de "Tom Hanks". Au premier plan, l'attrait historique et le souhait de conter un morceau de L'Amérique ou du vieux continent, au second plan la passion pour les courants cinématographiques et ceux qui les ont façonnés. La place occupée par "Pentagon Papers" est particulière parce qu'elle conte la période où "Spielberg" a entamé sa carrière. Ce nouvel opus est irrémédiablement attaché aux "Hommes du Président" de "Alan J. Pakula". Mais au-delà de l'évidente référence, c'est le choix de couvrir toute une période liant étroitement les heures sombres du pays de "L'Oncle Sam" et le mouvement culturel du "Nouvel Hollywood". Un réflexe cinématographique Pavlovien certainement dû aux années "Trump" et au peu de clarté offerte au citoyen Américain quant à son avenir... "Pentagon Papers" est d'autant plus passionnant qu'il est le trait d'union entre une époque passée et une époque très actuelle. Un témoignage de fiction/réalité où il est imprimé sur pellicule qu'en l'espace de presque cinquante ans, L'Amérique n'a pas bougé d'un iota.


Filmer l'Espace


Toujours très en demande sur les outils numériques capables de combler son imagination, le réalisateur s'est offert pour cette décennie la performance-capture pour ses trois principaux films d'entertainment. Ainsi "Tintin" prolonge l'idée du serial à la "Indiana Jones" grâce à une caméra affranchie de toutes contraintes. "Le Bon gros Géant" ouvre le champ de son pays imaginaire en opposition aux décors exigus de "Hook" et "Ready player one" entretient la notion d'immensité avec son univers virtuel et ses multiples possibilités quant à la filmer. Un cinéma no limit toujours plus ouvert à l'idée de fluidité du mouvement, de l'onirisme ou de la création. Cependant, "Spielberg" a inversé une tendance, celle de diminuer le nombre de ses productions de divertissement au profit de projets plus personnels. Une logique qui force le patron d'Amblin à reconsidérer la forme de son cinéma en réduisant les extérieurs pour des intérieurs confinés. "Lincoln" est le premier à s'inscrire dans une logique de périmètre réduit mais s'articule également autour de trois séquences chocs en extérieurs à la fois repères géographiques et soupapes de respiration pour le spectateur.


Enjeux nationaux et Espaces Ludiques


"Pentagon Papers" obéit aux mêmes lois scénaristiques que "Lincoln": Un mcGuffin ou un but à atteindre (le treizième amendement vs le Rapport de Mcnamara) ainsi qu'un même prologue de nature guerrière. Des enjeux nationaux colossaux en apparence identiques mais avec un traitement différent. "Papers" n'affichera pas la même austérité que "Lincoln", ni le même étirement temporel. Au contraire, il fera sien de tous les espaces, en comprimant la durée et en y incorporant un ludisme constant au sein de chaque plan. Salle de rédaction, appartements, restaurants, ascenseurs, bureaux, couloirs, "Spielberg" concocte des faces à faces de personnages dans les lieux les moins glamour du monde avec classe et les pieds bien ancrés dans la moquette. En parallèle d'une période pré-Watergate qui dissémine une ambiance anxiogène, le réalisateur arme le bras de sa mise en scène avec la volonté d'incarner son sujet. C'est bien simple, le scénario ultra souple comporte trois trames qui fusionneront par la grâce d'une écriture straight mais jamais ordinaire.


Le principe de la pyramide


Conçue comme une pyramide, la structure scénaristique attribue sa base à l'homme de terrain. "Ben Bagdikian" (Bob Odenkirk) mène les investigations dans les rues et reste en contact avec ses multiples sources. Une enquête qui pourrait très bien s'articuler autour d'une scène exceptionnelle dans une cabine téléphonique où "Spielberg" shoot son journaliste dans le reflet métallique du combiné ou encore en se réappropriant avec élégance le zoom, procédé autrefois disgracieux et utilisé ici de manière discrète. Un outil qui connote le sentiment de paranoïa avec sa brusque ouverture de champ.


Au coeur de la pyramide, la rédaction menée d'une main de fer par le Rédacteur en chef "Benjamin Bradlee" ("Tom Hanks"). La Rédaction n'est rien d'autre que la zone tampon où se prenne les décisions cruciales. Un intermédiaire entre le terrain et les grands ordonnateurs du "Washington Post". Les longs travellings latéraux délimitent le périmètre et contribuent à injecter toujours un peu plus d'énergie à l'ensemble.


Il ne reste que le sommet de la pyramide où se joue l'avenir du journal toujours acculé par des raisons économiques. Une entreprise familiale au bord du chaos dirigée par une femme "Kay Graham" ("Meryl Streep") cernée par l'éthique et par la conscience de préserver des centaines d'emplois au sein du journal face aux représailles de "Richard Nixon".


En presque quarante cinq ans, le Cinéma de "Spielberg" n'a pas tant changé. Avec ces quidams en chemise face à l'oppresseur, il ne fait que renouveler ses héros passés au travers de l'histoire Américaine et de ses courants culturels. L'ex Wonder boy en a encore sous le pied alors que se profile une nouvelle version de "West side story". L'ère des remerciements envers une époque révolue n'est pas encore terminée. Merci à lui.

Star-Lord09
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le 13 juil. 2020

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