Si les Arts questionnent par essence nos sociétés, alors point d'étonnement à ce que le septième d'entre eux s'intéresse de près à l'éducation... Depuis quelques années, les films qui évoquent l'école et sa perméabilité évidente aux évolutions sociétales semblent se multiplier. C'est particulièrement vrai dans le cinéma français. Depuis les très remarqués "Entre les murs" (palme d'Or à Cannes en 2008) et « La journée de la jupe », de nombreux films sont consacrés aux problématiques scolaires, à la difficulté d’instruire et d’élever une jeunesse en manque de repères. Citons par exemple "Les héritiers" (2014), "Primaire" (2016), "Les grands esprits" (2017), "La vie scolaire" (2019)... Avec "Un métier sérieux" (Thomas Lilti, septembre 2023) et "Pas de vagues" (Teddy Lussi-Modeste, mars 2024), sortis à quelques mois d’intervalle, c'est l'institution elle-même et ses représentants qui sont directement ciblés. Perte d'autorité, manque de perspectives, absence de formation, quête de sens, tensions sociales et communautaires, réponses institutionnelles inadaptées... autant de constats égrainés qui interrogent sur les manquements de l'Education Nationale, ce mammouth mal dégrossi qui reste à l'ère glaciaire alors que la société s'échauffe...
Julien, jeune professeur de lettres dans un collège de banlieue, est accusé de harcèlement par l'une de ses élèves de 4ème. Menacé par le grand frère, sa vie devient rapidement un enfer, entre peur et solitude. François Civil est convaincant dans son rôle de jeune professeur idéaliste et démago fauché en plein vol, certaines situations sont crédibles et bien pensées. Malheureusement le film patine un peu et les caricatures s’accumulent. Passivité et manque de discernement du héros, collègues apathiques ou névrosés, lâcheté confondante de la Direction, agressivité paroxystique du grand frère… Il est possible qu’en forçant le trait le réalisateur imaginait dénoncer avec plus de force, marquer les esprits, provoquer une prise de conscience. Mais que dénonce-t-il ? Sans doute et en premier lieu la déconnexion des pouvoirs publics vis-à-vis des réalités du terrain, certainement aussi l’abandon total de ces enseignants de plus en plus dépassés par d’inextricables situations, peut-être enfin les illusions dont se bercent les responsables politiques et les œillères qu’ils ont pris l’habitude de nous faire prendre pour des lanternes avec une évidente mauvaise foi.
Sur le plan visuel, le film de Teddy Lussi-Modeste est simple et efficace (pour ne pas dire modeste…) sans effet de manche superficiel. Tant mieux. On est ancré dans le réel, la situation l’exige. Le scénario sert le message sans aucune ambiguïté. Mais ceux qui connaissent l’état actuel de notre Education Nationale seront à peine surpris. Ils se contenteront de suivre, non sans intérêt, la détresse de ce jeune prof de banlieue moderne, naïf mais sympathique, aux prises avec cette situation malheureusement aussi ubuesque que réaliste au regard de notre société contemporaine. Quant aux autres, ce film accumule tant de clichés qu’ils risquent de ne pas le prendre au sérieux. Et il ne suffit pas de rappeler qu’il est « inspiré de faits réels » pour qu’ils le trouvent absolument réaliste.
Ce film aux allures de dénonciation a le mérite d’allonger la liste des œuvres consacrées à une problématique actuelle prégnante, mais qu’en restera-t-il finalement ? Aucune solution n’est proposée, c’est sans doute voulu. Le réalisateur pense-t-il que la mise en image de ce fait divers est suffisamment éloquente pour faire réagir l’institution ? On le souhaite, sans trop y croire. Emmurée dans sa tour d’ivoire, il est vrai que l'institution semble inopérante, à l’instar du Principal du film au regard vitreux dont l’inanité se transformera en agressivité. L’institution ne répond plus ou répond mal. Alors évidemment la situation s’enlise, comme celle de Julien. Ce dernier n’aura plus d’autre choix que de faire le dos rond et surtout « pas de vagues »...
Une société et sa jeunesse évoluent continuellement mais cette évolution semble s’emballer et il est désormais indispensable de tenir compte du pouls pris par les acteurs de terrain. Les responsables politiques souhaitent unanimement réaffirmer l’autorité des professeurs. Soit. Qu’ils commencent déjà par les considérer, les écouter, les accompagner, leur accorder réellement leur confiance... Il devient urgent d’adapter les directives et la politique éducative aux expertises et aux vécus de nos enseignants, de nos pédagogues, de nos éducateurs, des derniers descendants de nos hussards noirs de la République.