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Le cinéma nous a appris à observer le temps qui passe à l'aide de fondus successifs. En insufflant une magie nouvelle dans ce procédé, ce documentaire fusionne deux approches du monde, que nous croyions jusqu'alors inconciliables: comment s'en souvenir (de ce monde)? que trouve-on au-delà (de notre même monde)? La première question est terre-à-terre et interroge le rapport à l'histoire tandis que la seconde la quitte justement (la Terre) pour chercher des réponses dans ces astres qui dépassent la mesure de l'homme. Pourtant, toutes deux sont reliées par ce qu'il y a de plus simple et unique en chacun de nous: le calcium et la mémoire.


En nous laissant observer le cheminement de scientifiques à l'oeuvre sur l'un des plus grands observatoires du monde humain ainsi que la recherche d'ossements des volontairement oubliés par Pinochet, la poussière d'étoile s'invite peu à peu dans les plans du désert où sont cachés les cadavres tandis que l'au-delà est présenté à hauteur et entendement d'homme. Mettre au même niveau (d'importance, d'échelle) ces deux quêtes qui prennent place dans le désert d'Atacama offre en réalité une cartographie magnifique et lucide du présent politique chilien.


Aujourd'hui, on essaie de comprendre (donc d'éclairer) le passé malgré le barrage politique. Cette lutte est passionnelle et ne se quantifie par aucune valeur. Ces femmes qui marchent méthodiquement, creusent machinalement, espèrent intensément et repartent souvent bredouilles font la guerre au pouvoir en place, au nom du droit de se souvenir, d'un droit à la dignité pour ces êtres perdus. Ce combat dans le désert pour trouver une sépulture profane admet un air antigonien, à la différence près qu'ici, les larmes et les corps épuisés sont réels. À quelques pas de cet endroit aussi vaste que sec se trouve un observatoire qui cherche tant bien que mal à répondre à deux questions. La tâche est légère pour les moyens qui sont employés mais au combien difficile.


Pourtant, la philosophie de cette recherche rappelle l'unité de l'univers, dans lequel évoluent des tourments éloignés par leur teneur mais si proche géographiquement. Dans cette terre aride où les humains sont à la poursuite de deux passés (le big-bang et les étoiles qui nous ont précédé; les dépouilles des opposants à Pinochet), une leçon de poésie macabre est chantée, venant rappeler à quel point le beau et l'angoisse inévitable de l'oubli valsent au même rythme. Car les deux ont en commun d'être constitué de calcium et de n'exister que par la mémoire active des vivants.


Il arrivera un jour où il n'y aura plus d'être humain pour se rappeler de la beauté de ce documentaire qui donne le même ordre d'importance aux chasses célestes et souterraines. Lorsque ce jour arrivera, le calcium l'emportera sur la mémoire, l'inerte sur la dynamique vitale. Mais avant que ce fléau n'advienne, nous devons continuer à creuser les sentiers de la connaissance, lutter contre l'absurdité du temps sur terre qu'il nous reste et engager cet élan vital dans l'épreuve qui nous anime, même si cela semble vain, même si cela semble dérisoire, même si demain, il n'y aura plus personne pour s'en souvenir.

morenoxxx

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