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DE L'EXPLOSION À L'INTROSPECTION

Terrorisme, Altermondialisme, Jeunesse, Insouciance, Amour, Seuil, Média : Un groupe d'adolescents, d'horizons différents, s'unissent et décident de mettre à exécution leur plan d'attentat en visant des lieux stratégiques de la capitale parisienne, ou comment le réalisateur, Bertrand Bonello, met-il en scène la tension dramatique et la dualité de ses personnages ?


L'incertitude quant au devenir des personnages, permettant de tenir en haleine le spectateur, est la clef de voûte de la tension dramatique. D'emblée dans les premières minutes du long-métrage, le groupe ne pense plus, il exécute. Par cette chorégraphie macabre, on entre in medias res dans l'action. Par ailleurs c'est par ces figures mutiques, en limitant les dialogues à leur strict nécessaire, que le réalisateur étire la tension dramatique et accroche durablement ses spectateurs. En outre, il tente de les perdre dans le récit et ce malgré les quelques repères qui lui sont laissés, comme l'unité de temps d'une journée et son chronométrage durant une partie du film, à l'instar de La haine (1995). Pour cela, il déconstruit la linéarité du récit par une narration non-linéaire justement striée de flash-back (retour en arrière) et de flash-foward (saut en avant) avant de revenir au temps initial de l'action. Ainsi, calculateurs et synchronisés, ces personnages manœuvrent, comme prévu, un temps étranger au spectateur. En plus de cela, Bertrand Bonello le désoriente spatialement. Il offre une vision labyrinthique de la ville de Paris, de ses magasins et de son réseau sous-terrain métropolitain. Là encore, les protagonistes sont les seuls à savoir s'orienter au sein de ces multiples stations, lignes, correspondances, sorties, wagons. Ils sont méthodiques et vont d'un point A à un point B sans bifurcation. Les personnages en savent plus que le spectateur. Toutefois, au fur et à mesure, le réalisateur multiplie les idées de mise en scène visant à renverser ce déséquilibre. Ainsi, il manie à plusieurs reprises le split screen (écran divisé), à l'instar de Phone Game (2002), et la multiplication des points de vue sur un même événement, comme Elephant (2003). Cela offre au spectateur deux voire quatre champs de vision. Dès lors, le spectateur en sait plus que le personnage : c'est la condition sine qua non du suspens selon Alfred Hitchcock. En installant ce rythme et cette mise en scène, le réalisateur segmente l'action dramatique et construit progressivement un puzzle que seul le spectateur sera à même de reconstruire totalement. Malheureusement, ces nombreux partis pris ne valorisent qu'un suspens de façade, le spectateur en sait déjà trop et tout semble joué d'avance.


La construction presque dichotomique du film, fait écho à la dualité de ces personnages, qui est à mon sens, la véritable force du film. Ce sont des terroristes organisés, minutieux, impassibles et en même temps des adolescents fragiles, insouciants et humains. Si cette maturité et ce sang-froid précoces de ces ennemis de la nation bousculent le spectateur, Bertrand Bonello mise toutefois sur leur attachement à ces derniers : il utilise la longue focale pour isoler ses personnages de leur environnement, il n'expose pas leurs revendications, il met en avant leur désir de ne faire aucun blessé, il les isole et met à jour leurs failles, craintes, désirs et surtout leur insouciance. Il n'expose que très rarement la violence de manière frontale et la figure presque de manière aseptisée. Le réalisateur rend compte de cette duplicité des personnages par le jeu de miroir qu'il utilise, qui charrie avec lui un brin de fantastique. La scène-tableau où Yacine (Hamza Meziani) et son reflet restent muet face à un mannequin portant les mêmes vêtements que lui par exemple. Si cela peut faire écho à un sentiment de crainte voire de paranoïa du personnage, cela renvoie plus encore à une interrogation de ce dernier sur son identité profonde : est-ce vraiment moi qui ai commis un tel acte ? Par ce parallèle d'une poésie glaçante, Yacine est confronté à son double dénué d'émotion qui le renvoie à son acte inhumain. Ainsi, à plusieurs reprises, le réalisateur met en scène la prise de conscience de ses personnages. Il insiste sur leur fragilité, par exemple dans la scène-tableau cadrée sur trois des protagonistes dans un wagon de tête de la ligne 1, lorsqu'il filme en plan-séquence la (re)découverte des gratte-ciels de l'esplanade de la Défense. Cette skyline, présentée comme un tableau à travers la vitre du métro, écrase les personnages qui sont absorbés et impressionnés par cette immensité. En résumé, à la manière d'un diptyque, le réalisateur confronte successivement la violence mature et l'insouciance juvénile pour en extraire une poésie dérangeante. En effet, car après le chaos vient le confinement dans lequel ces personnages s'abandonnent naïvement. En témoigne la scène tableau, et véritable moment de cinéma, où ce même Yacine se travestit en femme et improvise un play-back hypnotique sur la chanson My way dans les escaliers du Grand Magasin parisien. C'est un chant du cygne, une envie de vivre désespérée face à l'inéluctable de le mort. Ainsi, les personnages se représentent autrement, allant jusqu'à porter symboliquement un masque comme Mika (Jamil Mccraven).


Par ailleurs, toujours dans cette logique duale, le réalisateur met les personnages face à leurs contradictions. Ainsi, les actes nihilistes et anticapitalistes de la première partie perdent leurs forces quand leurs mêmes auteurs adhèrent à la société de consommation et au luxe dans le seconde partie. On peut utiliser une image évocatrice, quoique parallèle, de cet aveuglement, une scène du Voyage de Chihiro (2001). Lorsque les parents de Chihiro, aveuglés par la profusion et la richesse de la nourriture, s'enlisent malgré le danger apparent et se transforment en porcs. A l'instar des protagonistes du film de Hayao Miyazaki, les personnages de Nocturama traversent un seuil, en l'occurrence celui de la Samaritaine, un labyrinthe qui cette fois les désoriente, les enferme et met à jour leurs propres contradictions les poussant à s'interroger sur eux-mêmes. En ce sens, la musique matérialise ce seuil car elle bouscule leur sens, les enivre et les assourdit face à la violence extérieur. Ainsi, le regard externe porté par les écrans de télévision qui relayent les chaînes d'information en continu semblent être des fenêtres bien lointaines de ce nouveau-monde qu'ils se fabriquent. Le temps s'y arrête, les langues se délient, les cœurs s'ouvrent et les gestes se libèrent, peut être une dernière fois sur la musique de John Barry, Amicalement votre.


« Un monstre, si horrible soit-il, nous attire secrètement, nous poursuit, nous hante » – Emil Cioran, De l’inconvénient d'être né, 1973

Moodeye
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le 18 janv. 2018

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