Deux des commanditaires de l’attentat perpétré dans Nocturama, deux étudiants, sont assis dans un restaurant et discutent sur la chute de la civilisation, l’ennemi intérieur et des modalités du concours Science Po, à savoir la méthodologie de la dissertation : deux grandes parties et deux sous parties chacune : une première sous partie qui définit le sujet, une deuxième qui l’explique, pour par la suite l’étirer à son paroxysme et le contredire dans un troisième acte et finir par un argument amoral quitte à tout remettre en cause sous forme de conclusion.


Et par ce prisme discursif, Bertrand Bonello nous présente alors le visage de l’architecture de son film qui se divisera entre le passage à l’acte avec tous les préparatifs que cela occasionne et la dissimulation de toute la bande dans un grand magasin parisien en pensant se faire invisible afin de regagner la lumière lors du lever du soleil. De par son sujet et l’actualité qui jalonnent notre pays, Nocturama est une œuvre prégnante mais qui a le mérite de ne jamais paraitre opportuniste dans son appropriation du réel.


Certes Nocturama s’insère dans un quotidien qui est le nôtre en prenant en otage la ville de Paris et en nommant nos dirigeants par ceux de l’actuel quinquennat (« Valls ») mais empêche toute confusion avec le spectre de la revendication islamiste ou religieuse : que cela soit par ses protagonistes ou par l’interférence des médias, l’attentat n’aura aucune revendication propre, ni de volonté au meurtre de masse (l’attentat en question n’en est pas un), ni de motivations explicites sauf que tout le monde s’accordera à dire, comme en témoigne la jeune femme avec son vélo (Adèle Haenel) : « que cela devait arriver ».


Bien que Bertrand Bonello se servira de quelques dialogues pour donner des pistes sur le désarroi qui pousse à l’action, le réalisateur ne préférera pas s’aventurer dans un message politique sur la responsabilité internationale et les conséquences des conflits armés: au contraire il utilisera le terrorisme à contre emploi et ambigu. Au lieu d'en faire une action qui divise, le terrorisme chez Bonello rassemble autour de soi, pour le meilleur et pour le pire dans "l'horreur".


Il fera de Nocturama un cri de rage adolescent, une façon de rassembler la jeunesse de France dans le nihilisme avec tout cela comporte comme diversité culturelle et sociale : ils sont libres, égaux et fraternels devant la violence et la perte d’innocence. Il est bien là le message de Bonello : panser les plaies de la jeunesse, lui offrir une identité commune, casser les codes du communautarisme ambiant et nauséeux des chaines d'information, avant de la conduire à faire n’importe quoi.


Nocturama se détache d’une œuvre récente comme Made in France mais se rapproche plus d’Elephant de Gus Van Sant, de Polytechnique de Denis Villeneuve ou même surtout de Night Moves Kelly Reichardt. Car avant d’être un vrai pamphlet politique, qu’il n’est pas forcément dans ses contours, Nocturama est une ode à la jeunesse, à son évanescence et est la création d’un cinéaste hors pair dans la captation de l’espace et du temps : deux paramètres qu’il affectionne parfaitement. A l’image du montage organique affiché dans Saint Laurent, la première partie de Nocturama est quasiment muette (trente première minutes) et échelonne sa mise en scène comme un pur cinéma de mouvement : comme si l’immobilité était synonyme d’insécurité et de repérage.


Par le mouvement, par cette densification des points de rencontre, ces innombrables arrêts de métros, cette diversification des objets recoupés, Nocturama dévoile son antre : un acte orchestré à la minute près avec la synchronisation des montres et des téléphones par le biais des photos, et qui caractérise chaque personnage non pas par leur personnalité mais par leur utilité dans l’opération en elle-même. Et c’est tout bonnement impressionnant de maitrise autant dans son rythme que dans son dynamisme visuel : le film étale sa tension mortifère sous le poids de la culpabilité et de la peur des visages crispés des « terroristes ».


Si le film emboîtera le pas de cette course contre la montre avec des flash-backs fins et non moralisateurs, Nocturama continuera sa trame pour enfin toucher au but : l’explosion. Puis Nocturama, avec une rupture brute, passera de l’action à l’attente, changera d’apparence et deviendra un film d’enfermement adolescent, proche de certains procédés de la télé réalité, dans la prison dorée et paradisiaque d’un magasin de luxe : où l’explosion de peur devient l’explosion de joie dans une sorte de Breakfast Club sans le côté teenage movie.


Si Bonello s’intéresse à cette jeunesse de martyrs, son cinéma n’est en aucun cas formaté teenage movie mais son discours est celui du cinéma pur et dur. Cette deuxième portion de film peut sembler moins anxiogène (malgré son final survival musclé et intransigeant), monotone dans son évocation du malaise mais elle est également parfaitement orchestrée et étale toujours sa dénaturation d’un cinéma en mouvement captivant : on se retrouve en terrain connu chez Bonello avec une bande d’individus cloisonnés dans un espace confiné : comme les putes dans l’Apollonide ou le personnage de Tiresia dans le film éponyme.


Bonello ne révolutionne pas son monde mais ne souffre d’aucune facétie et offre des purs moments de poésie, de joie collective, les affres d’une tension puérile, et met un nom sur des émotions : une libération de personnalité qui immerge, le profit du consumérisme, la possibilité de se redéfinir, de faire surgir l’humain derrière le masque de la haine avant que l'extinction n'arrive et faire naître l’empathie sous le feu de l’irrationnel : son immoralité se joue là comme durant cette très belle scène de communion et de danses communes avant le Jour J. Bonello est prodigieux.

Velvetman
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le 2 sept. 2016

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