Napoléon
5.1
Napoléon

Film de Ridley Scott (2023)

"N'attribuez jamais à la méchanceté ce qui s'explique adéquatement par la bêtise"

Introduction :


Je serais bref. En effet, j’ai déjà pu exprimer mon profond désamour pour le cinéma de Ridley Scott dans mes critiques de Kingdom of Heaven, Le Dernier Duel et Gladiator. Ce Napoléon n’étant à mes yeux que la confirmation que dis-je, l’acmé de la déchéance d’un ancien (très ancien) grand du cinéma, je ne m’attarderais guère sur ce naufrage, je ne tirerais que brièvement sur cette énorme ambulance déjà bien criblée de balles. Car oui, avant même de me passionner pour le cinéma, je nourrissais, et ce dès ma plus tendre enfance, une passion dévorante pour l’Empereur. Une passion très probablement née de mon visionnage pour le moins précoce de la mini-série française Napoléon mettant en vedette Christian Clavier sous le bicorne du grand homme. J’étais fasciné. La grandeur, le charisme, l’ambition, le courage, l’intelligence de ce personnage m'attiraient irrémédiablement vers lui. Et puis cette redingote grise, ce costume et ce mythique chapeau qui composaient cette silhouette si reconnaissable… Je ne comprenais que trop bien ce qui avait poussé ces milliers d’hommes à suivre ce petit caporal jusqu’au sommet des pyramides et au cœur d’un Moscou désert. Je ne pouvais que verser une larme lors du ralliement du 5e régiment d'infanterie à Laffrey, pensant à l’époque qu’il s’agissait d’une séquence inventée de toute pièce tellement l’évènement en question me paraissait incroyable, avant d’en découvrir, subjugué, la véracité. Mon admiration pour cet homme ne s'est dès lors plus tarie. Ainsi, lorsque la nouvelle d'un biopic avec Joaquin Phoenix dans le rôle de l'Empereur, le tout mis en scène par Ridley Scott et se focalisant sur la relation Napoléon/Joséphine parvient à mes oreilles, j'ai toutes les raisons de craindre le pire. Et si les bandes annonces avaient tendance à me conforter dans mes prémonitions, je m'attendais au moins à du grand spectacle.

Mais c'était vraisemblablement déjà en attendre trop de la part du nouveau Ridley Scott…

Analyse :


Ne tournons pas autour du pot : hormis une maigre poignée de plans forts en symbolique, la mise en scène, comme il est de coutume chez notre tâcheron préféré depuis maintenant un bon moment, ne raconte rien, elle est fonctionnelle au possible et, couplée aux choix de focales ainsi qu’à l’immonde photographie de Dariusz Wolski (encore et toujours), on a régulièrement le sentiment d’être en présence d’une série tv à gros budget, comme c’était déjà le cas dans Le Dernier Duel. Comprenons bien la chose, si Scott tourne très vite et avec onze caméras (comme il aime à le rappeler), c’est précisément car il n’a aucune vision, ce qui explique l'inexistence de sa mise en scène. Avec onze caméras, Scott est assuré d’avoir suffisamment de matière pour monter une scène qu’il ne sait précisément comment filmer. Un cinéaste qui sait ce qu’il veut montrer n’a guère besoin d’une panoplie de caméras, car il a pensé sa mise en scène en amont et sait donc précisément quel angle choisir. Ce que fait Scott n’a en réalité rien à envier aux yes mans de l’écurie Marvel sacrifiant toute vision sur l'autel du divertissement référencé. Alors oui, comme le faisait remarquer ce cher Ridley ces derniers jours, Scorsese tourne un film quand il en tourne quatre, mais voyez le résultat : Killers of the Flower Moon/Napoléon. Scorsese prend son temps pour penser au mieux le moindre plan, Scott, lui, se prend pour Kurosawa, capable de tourner quasiment un chef-d’œuvre par an. Mais Kurosawa était une diva, un génie et Scott en est très loin.

Le montage est à l’avenant, si elliptique qu’il ne permet de mettre la moindre scène, le moindre événement en valeur. Ainsi, le 13 Vendémiaire, le 18 Brumaire, la rencontre avec Joséphine, la campagne d'Égypte, Austerlitz, la campagne de Russie, l'île d’Elbe, les Cent jours, Sainte-Hélène… Rien ne semble avoir d’importance car tout est traité avec la même distance, la même froideur (le tout en faisant carrément fi de la capitale campagne d’Italie). Tous ces évènements sont traités séparément comme si rien n’avait d’impact sur rien, car pour Ridley Scott, la seule explication à tout doit être Joséphine.

Et parlons-en de cette fameuse relation Napoléon/Joséphine. Car elle aussi, ce qui est un comble étant donné qu’elle est censée représenter l’axe principal du long-métrage, pâtit d’un montage au désosseur. Aucune alchimie ne naît du duo Phoenix/Kirby. Leur relation se limite à une poignée de scènes de sexe, quatre insultes, deux mots tendres, le tout enveloppé dans un étrange rapport dominant/dominé alterné assez malsain. Aucune empathie ne naît pour le personnage de Joséphine qui nous est présenté comme une sacrée salo** inintéressante, et ce dès le premier rendez-vous avec Bonaparte (une scène qui, à défaut de briller par sa beauté, sa tendresse ou sa mise en scène, brille par son incroyable potentiel ridicule). Eu égard à cette description pour le moins audacieuse de l’impératrice, comment partagé ou du moins comprendre la passion de Napoléon pour cette femme ? A titre de comparaison, la mini-série de France tv, toutes proportions gardées bien sûr (une mini-série permet de raconter plus de choses qu’un film), traduisait avec bien plus de réussite la complexité, les tumultes et la passion de cette relation (Il faut dire aussi que Vanessa Kirby n'est pas Isabella Rossellini).

Mais venons-en à Napoléon. Qu’en est-il de cette fameuse interprétation de l’Empereur par Joaquin Phoenix ? A vrai dire je l’ignore. S’il est vrai que Phoenix ne m’a guère emballé durant ces 2h37, je ne peux dire avec certitude si le problème incombe à l’acteur ou au catastrophique montage de Scott, nous privant du plein potentiel de la performance de Phoenix. Car si l’attachement au personnage n’est jamais présent, si les larmes se refusent à couler à la vue du ralliement de Laffrey ou de la retraite de Waterloo, c’est avant tout la faute au point de vue plus qu’indécis du cinéaste. Que pense Scott de Napoléon ? Est-ce un film à charge ? Un film partisan ? Bien malin qui pourra le dire avec certitude au vu de ce premier montage. Napoléon nous est ici représenté à travers les yeux d’un anglais, il est mal élevé à outrance, mais est un redoutable calculateur, il se comporte comme un gamin mais est un guerrier courageux n’hésitant pas à partir à l’assaut aux côtés de ses hommes, il baise mal mais peu régulièrement se montrer drôle… Quel est le point de vue du cinéaste ? Quelle cohérence y a-t-il entre la charge finale à Waterloo et l’humiliante, ridicule et malaisante scène de sexe appuyant bien lourdement sur le fait que Bonaparte est nul au lit ? Ainsi, contrairement à ce qu’affirme le cinéaste, je pense personnellement que ce dernier admire Napoléon autant qu’il le déteste. Ceci couplé à l'axe principal Napoléon/Joséphine pousse Scott à délaisser trop souvent la grande Histoire pour se concentrer sur la petite, à aller regarder, comme un gosse, sous ses jupons pour tenter de dealer une poignée de séquences graveleuses. Les grands évènements de la vie du petit corse s’apparentent ainsi davantage à des cases à cocher, à des passages obligés auxquels Scott rend hommage sans grande conviction. Le génie stratégique ainsi que l'œuvre politique de Napoléon sont ainsi quasi totalement éludés. L’entourage de Napoléon ne cesse de lui rappeler qu’il est un grand homme, mais jamais Scott ne nous le montre. Son amour pour la France, vraie raison de son départ d’Egypte et de son évasion de l’île d’Elbe n’est quasi jamais évoqué, le film préférant faire de Joséphine la cause de tout. Résultat, une scène aussi chargée en émotion, en symbolique et en héroïsme que la ralliement du 5e d’infanterie tombe irrémédiablement à plat, rien ne se passe car à aucun moment on ne comprend pourquoi ces soldats vouent un tel culte à cet homme. Scott nous offre ainsi un Napoléon tantôt très (trop) sérieux, tantôt idiot, tantôt gamin pleurnichard. Une outrancière humanisation qui détruit cruellement le mythe, un mythe qu’un Ridley Scott sans vision tente de réveiller par moments sans que cela ne fonctionne. On ne peut pas bâcler, pourrir un personnage et exiger que le charme de la légende continue d’opérer.

Au milieu du torrent de critiques à l’encontre du film, un point positif subsiste malgré tout, un point sur lequel même les détracteurs de Scott semblent s’accorder : les batailles "grandioses et épiques". Laissez-moi rire ! Si les batailles de ce film sont cela alors comment qualifier celle des films de Bondartchouk ?! Non, soyons un minimum sérieux et considérons ces batailles pour ce qu'elles sont, c’est-à-dire un gloubiboulga désorganisé, mal mis en scène, jamais épique ou grandiose et sujet à maints contre-sens historiques. Comprenons-nous bien, je ne suis pas et n’est jamais été un partisan de l’historicité à tout prix, j’ai d’ailleurs consacré une partie de ma critique de Braveheart à ce sujet. Hors, s’il est une chose de faire quelques entorses à l’Histoire dans une fresque médiévale contant la vie de William Wallace, qui plus est sur le ton de la légende, il en est une autre quand il s’agit des guerres napoléoniennes, bien plus récentes, connues et documentées. Ainsi, de la même manière qu’il ne viendrait à l’idée d’aucun cinéaste de ne pas retranscrire au plus proche de la réalité historique une bataille de la Seconde Guerre mondiale, les guerres napoléoniennes ont régulièrement bénéficiés de représentations relativement soignées, le pinacle étant bien sûr les long-métrage de Sergueï Bondartchouk qui, de Guerre et Paix à Waterloo, ne cesse de complexer des cinéastes incapables, même après l'avènement du numérique, de se hisser à la cheville de ce véritable Napoléon du cinéma. A ce titre, la bataille d’Austerlitz dans le film de Ridley Scott constitue à mes yeux un véritable scandale. Jamais encore je n’avais vu un tel travestissement de cette mythique bataille. Le réalisateur centre ainsi l’action autour d’un des évènements les plus anecdotiques de la bataille, à savoir les fameux lacs gelés. Deux cohortes désorganisées se foncent dessus en une mêlées informe sous le filtre bleu immonde de Wolski et le regard d’un Napoléon pité sur les hauteurs (mais oui bien sûr) beuglant des ordres sans queue ni tête. Le génial plan de bataille de l’Empereur fait ici place à une misérable ruse (typiquement anglo-saxonne) faisant passer la bataille pour simple une escarmouche cruellement orchestrée par un Napoléon l’emportant dans le froid le plus sinistre en lieu et place du fameux et légendaire soleil d’Austerlitz perçant le brouillard. Outre Austerlitz, le film nous donne à voir la prise du fort de Toulon où une fois encore les français et Bonaparte l’emportent par le biais de la ruse la plus fourbe; je passe rapidement sur la révoltante absence de la campagne d’Italie (dans ce montage cinéma du moins) pourtant fondatrice dans l’histoire du personnage; la campagne d’Egypte, comme tout, est survolée, éludant l’importance des compétences politiques acquises par Bonaparte au cours de cette expédition. La bataille de Borodino passe également une tête le temps de trois petits plans au cours desquels l'œil averti aura pu discerner un Napoléon chargeant avec ses hommes en tenu de général ! je ne m'étendrais pas non plus sur cet énorme contresens qui me fait nourrir le sentiment que ce vieux Ridley a cherché à nous la mettre à l’envers. En effet, je mettrais ma main à couper que cette séquence appartient aux guerres d’Italie, absente de ce montage mais apparemment pas de la version longue promise par Scott. Pour finir, Waterloo saute à pieds joints dans le grand n’importe quoi décomplexé. Toujours sur une esthétique et un nombre de figurants digne d’une série tv à gros budget, voilà l’Empereur chargeant dans avec ses soldats pour un dernier baroud d’honneur dans une mêlée encore et toujours informe. Sans cesse, Scott tente artificiellement d’insuffler du souffle à ces séquences sans se rendre compte que l’épopée napoléonienne n’en a guère besoin, elle est naturellement plus épique et passionnante que tout ce que le cinéma ne pourra jamais nous offrir. Quoi de plus épique qu’un Napoléon vieillissant voyant ses espoirs de victoire s’envoler à l’arrivée surprise des prussiens ? Quoi de plus épique qu’une garde impériale alors invaincue battant pour la première fois en retraite, l’impensable rumeur se répandant comme une traînée de poudre dans les rends français qui fuient à leur tour ? Quoi de plus épique que le soleil d’Austerlitz ? Quoi de plus épique que le ralliement du 5e d'infanterie ? Que la charge au pont d'Arcole ? Que les Cent jours ? Quoi de plus légendaire que l’exil de Sainte-Hélène ? L’épopée napoléonienne n’a pas besoin de Ridley Scott ni de qui que ce soit d’ailleurs pour être épique et grandiose.

Outre Napoléon et Joséphine, nulle âme qui vive. Talleyrand et Fouché sont visibles le temps d'une poignée de plans, les maréchaux quant à eux sont littéralement absents, à l'exception d'un seul (Ney). De ce fait, le 13 Vendémiaire ainsi que le 18 Brumaire se déroulent sans Joachim Murat. Extraordinaire ! Ainsi, comme c'était déjà le cas dans l'effroyable Exodus, aucun personnage n'existe en dehors du duo principal.

Enfin, comme il semble être de coutume chez Ridley Scott (1492 : Christophe Colomb, Kingdom of Heaven, Le Dernier Duel…), le film fait la part belle à une certaine malhonnêteté historique. Si les français apparaissent régulièrement comme des lâches l'emportant davantage par le biais de ruses peu glorieuses que grâce à l’exceptionnel génie stratégique de Napoléon, Scott va très (trop) loin en présentant chaque décision de l’Empereur comme liées à Joséphine (le retour d’Egypte, le fuite de l’île d’Elbe…). Le cinéaste britannique va jusqu’à prêter à Napoléon, lors de son voyage vers Sainte-Hélène, des paroles concédant raison à Joséphine, des paroles fallacieuses qui prouvent fort bien que Scott n’a pas compris que cette ambition démesurée, ces conquêtes, la peur que l'Empereur inspirait chez ses ennemis et son exil sur ce caillou au beau milieu de l'Atlantique ont forgé sa légende. Cette malhonnêteté teintée de bêtise se prolonge jusque sur le panneau clôturant son film. Chacun connaît cet outil narratif finissant généralement les biopics et en lequel le spectateur se remet corps et âme. Un panneau final que Scott fait éhontément mentir en affirmant que les dernières paroles de l'Empereur furent : "France, Armée… Joséphine" ce qui est factuellement faux. En effet, le nom de Joséphine ne fait pas partie des dernières paroles de Napoléon. Scott une fois de plus manipule malhonnêtement l’Histoire pour lui faire dire ce qu’elle ne dit pas, pour tenter de légitimer sa mauvaise intuition et par la même occasion l'un des films, si ce n’est le film, le plus médiocre de sa carrière.

Je pense qu’il est clair que l’image de Napoléon ne ressort pas vraiment grandie de ce film et, comme je le disais plus haut, difficile de croire que Scott aime le personnage, en particulier lorsqu'il avoue à qui veut l’entendre qu’il le compare volontiers à Hitler ou Staline. Il semble évident que Ridley Scott le tueur de mythes a encore frappé; après Christophe Colomb, les Croisades, Robin des bois, l’Exode ou le Xénomorphe… le cinéaste s’attaque à notre petit caporal corse. Le plus grave et le plus désolant selon moi, c’est que ce Napoléon est bien un film de son époque. Ridley Scott, du haut de son XXIe siècle regarde avec force jugement cette époque, ses mœurs et son personnage. Comme à son habitude, il se refuse à embrasser le mode de vie et la pensée de ce début de XIXe siècle; il ne peut donc décemment comprendre Napoléon car il ne fait guère l’effort de comprendre son époque. Ceci explique peut-être la distance et la froideur avec laquelle le cinéaste nous conte cette histoire. Quoi qu’il en soit, cela nous mène à des aberrations dont le pinacle est probablement atteint lors du décompte des morts des guerres napoléoniennes en fin de film. Histoire de nous rappeler que ces guerres ont causé des morts (non, vraiment ?!). Tout d’abord, comment faut-il interpréter ces chiffres ? Que représentent-ils ? Le nombre total de morts ? Le nombre de morts français ? ou ennemis ? Et puis, ces morts sont-ils tous imputables à Napoléon (car après tout il faut au moins deux camps pour faire une guerre)? Le fait est que l’on nous expose des chiffres que l’on ne comprend pas. Ensuite, s’il l’on s’en tient au principe seulement, le fait est qu’il ne peut y avoir qu’une époque aveugle, outrageusement pacifiste et non violente (en apparence) comme la nôtre pour produire un tel final et par conséquent résumé l’épopée napoléonienne à cela. Cette fin va d'ailleurs à l’encontre de ce que le film montre puisque l’on voit régulièrement Napoléon tenter de faire la paix avec les grandes monarchies; chose qu’on lui refuse, le poussant ainsi à faire la guerre à ces puissances menaçant la France. Napoléon n’a eu de cesse de vouloir faire la paix et le film le montre très justement; ainsi, résumer son œuvre à cela me paraît fort malhonnête et réducteur. Quant à savoir ce que l’on reproche à Napoléon, au fond, c’est à mon sens d’avoir été plus fort que les autres malgré sa constante infériorité numérique. Cela me coûte de devoir sans cesse le rappeler mais les mentalités ont changé en plus de 200 ans, ce qui est vrai aujourd’hui ne l’était pas forcément hier, le rapport à la guerre et à la violence en est la preuve. Juger une époque quelconque selon des considérations modernes est le pire des contresens. Faites l’effort de comprendre les circonstances, les enjeux, le contexte, et vous parviendrez peut-être à comprendre les hommes et leurs actes.

Enfin, pour en revenir à mes propos au sujet de la véracité historique, critère qui, selon moi ne pèse que peu dans balance du moment que le l’essence et la pensée de la période sont retranscrites (Ex: Braveheart, Apocalypto, Alatriste, Rome (série HBO), Les Duellistes…); je dois avouer que ce film m’a, pour la première fois, poussé à me poser une question : le cinéma a-t-il encore le droit de s'affranchir d’une certaine véracité historique ? En effet, à notre époque, à défaut de se faire par la lecture, la culture se fait majoritairement par le biais de l’audiovisuel, le cinéma et les séries en première ligne. Partant de ce postulat, se permettre des libertés avec l’Histoire ne pourrait-il pas s'apparenter à de la désinformation ? Et en même temps, le cinéma est un art, une succession de fictions pensées par des artistes n’ayant à rendre de comptes à personne et surtout pas aux historiens ? La question est vous le comprenez des plus complexes, et il va sans dire que je n’en détient pas l’ombre d’une réponse. Et même si je prendrais toujours dans ce débat le parti du cinéma, le fait est que je ne peux m'empêcher de penser au novice, au profane qui ne connaît de Napoléon que sa mythique silhouette et qui ressortira de son cinéma avec une image biaisée voire risible de l’Empereur et de son épopée. Mais au fond, un anglais peut-il réellement comprendre Napoléon ? Après tout, comment un homme de la race de Wellington, Nelson et Hudson Lowe pourrait-il saisir le caractère emporté, multifacettes et éminemment latin d’un corse rêvant de grandeur, de triomphes, d’épopées Antiques, de César et d’Alexandre ? Scott n’en a d’ailleurs retiré que l’image d’un gamin colérique, parfois idiot, mal élevé et calculateur; soit une vision très caricaturale et anglo-saxonne du grand homme. Malheureusement, je dois tout de même constater, la mort dans l’âme, que l’empereur semble davantage apprécié par ses anciens ennemis que par ce peuple français qu’il a tant aimé. Un amour longtemps unanimement réciproque qui s’est changé en haine à mesure que la France perdait de sa puissance, de sa grandeur et de son amour propre. Il y a malheureusement fort à parier que si le cinéma français venait à s’emparer de la figure de l’Empereur, à une époque où l'autoflagellation et le déboulonnage des grands hommes sont devenus monnaie courante, ça serait assurément pour la déconstruire plus encore que ce que Scott n’aurait jamais osé pensé. "Nul n’est prophète en son pays" dit le proverbe.

Tout cela ne m'empêche néanmoins d’attendre avec grande impatience la série HBO promise par Steven Spielberg et basée sur les recherches de Stanley Kubrick; projet en lequel je fonde bien plus d’espoirs que sur le long-métrage de Ridley Scott, Spielberg oblige.

Conclusion :


Je ne peux pas parler de Napoléon comme d’une grande déception car je savais qu’étant mis en scène par Ridley Scott le film ne me conviendrait pas, pour rester pondéré. Mais je m’attendais au moins à du grand spectacle, ce que le film n’est jamais, le souffle de l’épopée est absent du début à la fin, guère aidé il faut bien le dire, par une bande originale assez fade signée Martin Phillips. Avec sa mise en scène sans génie ni intelligence, son montage catastrophique, son immonde photographie, ses scène de batailles bâclées, ses dialogues ridicules et didactiques au possible, ses personnages secondaires inexistants, une Joséphine inintéressante et un Napoléon bafoué dans sa grandeur; ce film est un ratage des plus complets tant sur son fond que sur sa forme. Napoléon est un film sans vision, sans point de vue qui souffle en permanence le chaud et le froid, ridiculise l’Empereur de la plus sale des manières avant de louer sa grandeur au combat; un film qui bâcle tout, survole tout, n’approfondit rien et qui, par conséquent, ne peut comprendre ni faire comprendre qui était Napoléon, si tant est que cela soit possible. Désespéré par pareil affront (tant à l’Empereur qu’au cinéma), qui justifierait à lui seul une prompte invasion de l’Angleterre; j’attends tout de même avec une certaine curiosité la version longue de quatre heures promise par Ridley Scott dans laquelle, paraît-il, les exploits militaires du petit caporal sont mieux détaillés. Mais à l’image de Kingdom of Heaven, j’ai bien peur que cette version ne soit une fois de plus qu’un gadget, le vrai problème de ce film se trouvant en son cœur. La bêtise n'a pas de limites et Ridley Scott en est la preuve vivante.

Fuyez ce nouveau Ridley Scott et revoyez donc Guerre et Paix et Waterloo de Bondartchouk, Napoléon et Austerlitz d’Abel Gance, bien sûr la mini-série Napoléon de France tv ou encore le très bon docu-fiction Austerlitz, la victoire en marchant qui vous révèlera les arcanes de cette grande bataille ainsi que l’étendue du génie militaire de l’Empereur que Scott nous refuse si férocement.

Et dire que j’avais promis d’être bref…


Vive l’Empereur et vive la France !

Antonin-L
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le 1 déc. 2023

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Antonin-L

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