Après avoir rendu hommage à sa mère dans le documentaire « My Mother’s Farm », il aura fallu neuf ans pour que son dernier projet aboutisse et cette fois-ci, sous forme d’animation. Quoi de mieux pour explorer l’enfance tumultueuse d’Ilze Burkovska Jacobsen. Enfant de la Lettonie soviétique, c’est avec ses yeux d’autrefois qu’elle dévoile une vieille douleur, celle d’un pays silencieux face à l’oppression totalitaire. Le rouge sera la couleur qui entrave la liberté, chose qu’on l’on pourrait croire acquise au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Mais jusqu’à l’effondrement du bloc soviétique, le calvaire de sa famille est décortiqué par une vision d’horreur, proche de celui qui maintient l’Ukraine à la surface aujourd’hui.


La faucille et le marteau tiennent la posture d’une épée de Damoclès, prête à s’abattre sur celui ou celle qui se détachera du troupeau. Pourtant, malgré son jeune âge et l’endoctrinement mécanique dans son établissement scolaire, Ilze est une rêveuse. Elle se laisse aller dans la discrétion avant de pleinement épouser la réflexion, en repérant les contradictions de son quotidien. L’animation sert toute cette démarche, l’alourdit sans doute par moment, mais ne manque pas un instant d’exposer les symboles forts qui ont joué sur sa génération. Tandis que d’autres occidentaux avaient le privilège de s’exprimer librement ou de développer leur culture, ici, du côté pourpre du rideau de fer, c’est la rigidité et l’esprit de corps qui consume chaque habitant, rationné jusqu’au dernier morceau de savon à la fraise.


Les souvenirs de la cinéaste lettonne gagnent ainsi notre attention et notre curiosité sur une période de l’histoire, qui semble se répéter, mais qui demande avant d’être entendu, avec un recul émotionnel, propre à l’intimité d’Ilze. Certains pourraient garder leur distance, mais les autres l’accompagneront avec nostalgie dans sa quête de désillusions. La jeune travailleuse évoque ainsi sa vocation, en parfait accord avec sa rébellion, où le journalisme l’aidera à s’émanciper du régime et en même temps à justifier les efforts de sa mère, qui a souffert d’un lourd héritage. Dès lors, des allègements sont acquis et un certain modèle de service militaire s’éloigne des enfants qui ont tout à apprendre et qui ont tout pour changer leur avenir.


De la même manière que Marjane Satrapi avec son « Persepolis », « My Favorite War » déploie une rancœur collective, servie par quelques images d’archives et autres artifices visuels, afin d’atteindre l’authenticité, là où elle a longtemps été étouffée, voire truquée. De nombreuses têtes pensantes de l’URSS s’écrasent donc sur ce portrait de jeunesse, qui tient également à rendre compte des conséquences d’une politique vampirique. Et ce film témoigne surtout d’un élan, d’un apprentissage, qui ne sera jamais arraché à celles et ceux qui pourront se détourner de la propagande. Puissions-nous encore rêver un peu plus de notre destination, le documentaire ne cesse de l’espérer et de le revendiquer.

Cinememories
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le 27 avr. 2022

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