Retour dans la jungle, deux ans après la version blockbuster de Jon Favreau pour Disney, avec un projet longtemps repoussé et dont on nous a vendu la singularité : Andy Serkis, l’expert de la performance capture aux commandes, cette technique donnant une aptitude spécifique à ses créatures pour une adaptation annoncée comme plus fidèle à Kipling, plus sombre et moins… Disney, en somme.


Le parti-pris est effectivement clairement affiché : le ton est plus grave, l’humour quasi absent, et les thématiques les plus explorées ne sont pas indexées sur les séquences d’action. Mowgli est un film qui fait la part belle aux dialogues, et disserte sur la question des appartenances, de la différence, de l’instinct et du rapport à la loi du milieu. Autant de thématiques assez intéressantes, mais qui risquent de laisser le public le plus jeune sur le carreau, même s’il n’est pas interdit de chercher à l’initier à des questionnements un peu plus ambitieux.


Mais cet aspect sombre se déplace aussi dans l’esthétique elle-même : si la jungle luxuriante reste le cadre de référence, la nuit occupe une place prépondérante, et avec elle une photographie obscure, où les noirs et les gris dominent, soulignant avec une certaine naïveté cette volonté de noircir le propos. Ainsi de la scène de l’enlèvement par les singes, qui devient une sorte de cérémonie occulte et souterraine cherchant surtout à effrayer, un peu comme le faisait Jackson avec les indigènes dans son King Kong.


Sur ce genre de film, l’un des principaux critères de jugement devient celui de la technique, et il faut bien avouer son embarras face aux partis-pris. Si la corpulence et les effets de fourrure des animaux sont maitrisés, leur gueule pose vraiment problème. On a du mal à déterminer si l’absence de fidélité réaliste est assumée ou si c’est le résultat d’un ratage, mais les designs sont maladroits, tant dans les proportions que leurs lignes, très triangles, au profit d’un anthropomorphisme assez malvenu. La cohabitation passe assez mal, et le paradoxe est assez dérangeant de voir l’humain derrière une créature de synthèse.


Peut-être est-ce une des raisons qui expliquerait la difficulté du film à trouver son rythme et sa tonalité. S’il est intéressant sur les questions qu’il aborde, Mowgli ne parvient pas véritablement à émouvoir, ni à prendre le spectateur dans une intrigue mal gérée dans son déploiement : les scènes s’accumulent sans liant véritable, et l’émotion fait souvent cruellement défaut. Sher khan effraie une fois, dans la belle scène où il se désaltère dans un trou d’eau au fond duquel se cache Mowgli, mais se contente le reste du temps de rugir avec force, sans personnalité ni réelle présence. On peut en dire autant de tous les protagonistes animaux, reproche qu’on pourra tout aussi bien formuler à l’égard des personnages humains, comme ce chasseur censé contrebalancer l’idéalisme de Mowgli, pur ressort scénaristique qui n’éveillera aucune implication émotionnelle du spectateur.


Curieuse expérience : on aimerait souscrire à l’intention (élever le débat, retrouver le lustre littéraire d’antan, proposer une alternative technologique en termes d’animation), mais rien n’y fait. Les animaux anthropomorphes n’ont jamais été aussi agiles et séduisants que sur le celluloïd des premiers Disney.


(5.5/10)

Sergent_Pepper
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Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes J'ai un alibi : j'accompagnais les enfants., Vu en 2018 et Netflix

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le 8 déc. 2018

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Sergent_Pepper

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